Intervention d’Enric BALAGUER,
Secrétaire de direction à la Casa de la Generalitat de Catalunya (Gouvernement autonome de Catalogne) à Perpignan

Tout d’abord permettez-moi de vous remercier pour nous donner l’opportunité de nous exprimer à cette tribune, je vous prie de bien vouloir excuser Madame Maryse Olivé, Directrice de la Casa de la Generalitat de Catalunya à Perpignan, qui n’a pu être parmi vous en raison d’un agenda très chargé.

Elle m’a demandé de la représenter, j’ai donc la lourde tache de vous exprimer en quelques mots la situation et les outils dans le domaine linguistique du gouvernement catalan, mais aussi mon sentiment et mon vécu, en tant que nord Catalan, sur la place que devrait et doit avoir notre langue dans le domaine des affaires...

En préambule, pour être compris de tous, je préciserai un point de dialectique :

Lorsque l’on parle de Catalogne Nord, on parle de la partie actuellement administrée par l’État français, qui a été annexée à la France par le traité des Pyrénées en 1659.

Ce que nous nommons la Catalogne Sud est la région autonome de Catalogne faisant partie des 18 communautés autonomes de l’État espagnol.

Et ce que l’on appelle Els Països Catalans (les Pays Catalans) sont les territoires de langue catalane à savoir : l’Andorre, la Catalogne Sud , les Baléares, le Pays valencien, et la petite ville de l’Alguer située sur l’île de Sardaigne.

Cet ensemble de 68 000 km² représente une population de plus de 11 millions d’habitants.

Le catalan se situe au 7ème rang, en nombre de locuteurs, dans l’Union européenne actuelle des 15 et sera au 10ème rang après l’élargissement à 25. Une étude récente le situe, je serai prudent, dans les 20 premières places au niveau mondial en ce qui concerne le nombre de pages sur internet... C’est dire qu’il y a, si j’ose m’exprimer ainsi, une parfaite connexion entre notre langue et les nouvelles technologies.

Le fait que ce territoire s’étende sur 4 États entraîne des situations au niveau de son statut juridique très différentes : le catalan est la seule langue officielle en Andorre, il est co-officiel dans les communautés autonome de l’État espagnol, il est protégé et promut par les législations de l’État italien et de l’autonomie de Sardaigne. Par contre en France il n’a aucune reconnaissance juridique.

En effet, en ce qui concerne la Catalogne Nord depuis le traité des Pyrénées et aujourd’hui encore, l’hégémonisme linguistique n’est pas exercée par l’anglais, mais par le français et cela avec une volonté plus ou moins dissimulée de l’État.

Faisons un peu d’histoire, le Roi Louis XIV, par un édit du 17 avril 1700, interdit le catalan sur tous les actes publics... C’est un acte absolutiste, mais les divers empires et républiques qui lui ont succédé n’ont pas accordé plus de respect à notre idiome... Pas plus actuellement :l’article 2 de la Constitution, proposé par le ministre Toubon dans les années 1990, précise que le français est la langue de la République, excluant toutes les autres...

Je me réjouis d’être présent ici. La France et la francophonie se protègent à juste titre contre l'hégémonisme de la langue anglaise, et dans cette perspective il y a certainement une prise de conscience de l’importance de l’identité de chaque peuple et surtout de la richesse de la diversité... et de la nécessité de protéger sa propre langue sans se fermer aux autres, le bilinguisme "langue dite régionale/français" est certainement un objectif a se fixer pour le futur. La francophonie est une des plus belles mosaïque de peuples et de cultures qui soit, dont chaque pièce est un joyau à conserver et protéger.

En Catalogne Sud, le gouvernement autonome, après l’étape de la dictature franquiste, a fait de la langue catalane un élément majeur de cohésion nationale, car notre langue est nationale et non régionale malgré toutes les influences extérieures et malgré une forte immigration.

Cela n’a pas empêché la Catalogne d’être un des moteurs économiques de l’Europe, de produire 25 % des exportations de l’État Espagnol, en ne représentant pourtant que 15 % de sa population et 6 % de son territoire. Ceci démontre que la langue catalane n’est en aucun cas un frein au développement économique, elle est présente dans les affaires, comme elle l’est dans la politique (aucun des candidats aux dernières élections n’a fait sa campagne en castillan), comme elle est présente dans tout ce qui a pour but de toucher de prés la population, par exemple la presse ou la publicité...

Cette présence n’est pas que le fruit du hasard, elle a nécessité la création d’outils institutionnels :

Un département de politique linguistique fort et bien structuré, qui sans cesse maintient ses efforts et sa vigilance, principalement par rapport aux vagues migratoires. Par exemple, a été mis en place récemment le système de couple linguistique : il s’agit de faire en sorte qu’un nouvel arrivant en Catalogne rencontre plusieurs fois par semaine un catalanoparlant pour pratiquer la langue.

Et, pour parler de ce qui nous intéresse aujourd’hui la création en 1985 sous l’égide de la Generalitat de Catalunya d’un organisme : le TERMCAT.

TERMCAT est un consortium composé par l’Institut d’Estudis Catalans, (qui serait l’homologue de l’Académie française) et le consortium de normalisation linguistique... Cet organisme a pour finalité la promotion, l’élaboration et la diffusion de ressources terminologiques, la normalisation des néologismes catalans et la prestation de services de conseil pour faciliter l’usage de la langue dans les domaines scientifiques, techniques ou socio-économiques... TERMCAT édite de nombreuses publication dans la terminologie spécialisée, ainsi qu’une série de plaquettes ou d’affiches de vulgarisation. Mais aussi TERMCAT est consultable par téléphone ou par Internet, à l’adresse : www.termcat.net, et aussi à travers le CERCATERM qui est un service de consultation multilingue en ligne.

En ce qui concerne la Catalogne Nord, nous avons cette chance immense, que n’ont pas hélas nos amis occitans ou bretons, de faire partie d’un ensemble, où, excepté chez nous en Catalogne Nord, le catalan bénéficie de structures et d’officialité.

Vous remarquerez sur la bibliographie que je vous ai transmise, réalisée par TERMCAT, qu’au delà de la Generalitat de Catalunya, les autres communautés autonomes des Països Catalans font aussi des actions dans ce domaine, mais également les chambres de commerce, les syndicats professionnels, les universités et les entreprises privées, notamment dans les domaines de la banque et de l’assurance...

Pour terminer je voudrais vous parler de ma modeste expérience : il y a quelques temps, je dirigeais une petite entreprise commerciale. Mes bons de commande étaient bilingues et jamais un client n’a été choqué par cette démarche, bien au contraire.

À la Casa de la Generalitat de Catalunya à Perpignan, où je travaille aujourd’hui, plus 50 % des personnes qui viennent nous demander des informations sont des étudiants ou des entrepreneurs qui veulent s’installer en Catalogne Sud. Selon l’ANPE locale, dans les principales difficultés que rencontrent les candidats à l’emploi de l’autre côté des Pyrénées, la méconnaissance de la langue catalane figure en bonne place.

Tout ceci démontre que plus que jamais le catalan est une langue utile, loin de tout folklorisme, une langue indispensable dans le domaine économique, le dénominateur commun dans les échanges transfrontaliers, l’ingrédient de base des relations nord-sud. La connaissance du catalan est un gros "plus" dans le domaine des échanges économiques...

Comme en gastronomie, il est absolument indispensable qu’une langue s’enrichisse d’influences, mais si celles-ci dominent à outrance les ingrédients basiques et authentiques qui la composent, les capacités des papilles gustatives risquent fort d’en être altérées, et le plat risque d’avoir une saveur, peut être plus passe-partout, mais qui n’est pas vraiment la sienne.

En gastronomie comme en linguistique, il est primordial d’exercer notre langue aux choses authentiques.

Je pensais terminer mon intervention ici, mais j’ai été interpellé par les mots de M. Jean Saint-Geours à propos du basque. Je ne reprendrai pas tous les points, mais deux seulement : vous avez dit que ces langues trouvaient leur raison d’être et leur force de subsister au travers des arts et de la poésie par exemple... et que c’est là qu’elles étaient utiles, "maintenir la langue pour construire des automobiles n’est pas très important", dites-vous.

Et bien, Monsieur, en Catalogne justement, on fait tout les efforts pour que les automobiles soient construites en catalan, même si elles sont japonaises.

D’autre part en parlant des Ikastola, des écoles d’immersion en langue basque, vous avez dit craindre la ghettoïsation. En tant que parent d’élèves des écoles catalanes La Bressola, je tiens à vous rassurer, ces écoles sont au contraire des écoles d’ouverture, et d’après les évaluations faites en classe de sixième du collège de Prades, où j’habite, les élèves issus de la Bressola ont des moyennes supérieures en français à celles de ceux qui proviennent des écoles 100 % françaises.

En Catalogne Sud, le bilinguisme scolaire est pratiqué depuis plus de 20 ans et, ma foi, ça fonctionne assez bien. Le danger, dans notre société d’aujourd’hui, c’est d’être monolingue, le bilinguisme est une grande richesse.

Je vous remercie pour votre attention.

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