Exposé de Mme Danielle DUBROCA GALIN.

Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Président de l’APFA,
Chers amis (je veux dire "chers amis de la langue française et de la langue française des affaires"),

Comment ne pas commencer par dire que je me sens tellement heureuse d’être ici, et tellement honorée d’avoir été appelée à prendre place parmi vous ? La fête annuelle de la Francophonie, en particulier la fête du Mot d’Or, est une initiative magnifique qui nous permet de célébrer la langue française, cette langue que nous aimons tous à des titres divers et qui le mérite bien. En son honneur, des festivités, des activités sont organisées de toute part et il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil à la Toile : manifestations culturelles, conférences, débats, lectures poétiques, rencontres francophones, qu’elle soit notre langue maternelle ou une langue acquise et apprise avec amour et parfois aussi par amour.

Pour moi, la Francophonie, c’est un peu comme un iceberg : une partie visible et une partie cachée, la plus grosse.

La Francophonie visible

La partie visible, c’est par exemple aujourd’hui : nous sommes réunis ici, nous nous réjouissons, nous échangeons des idées, nous construisons des projets et les médias vont parler de la Francophonie, de son histoire peut-être, de son présent et de son avenir.

La Francophonie visible, c’est cette force linguistique (et pas seulement, puisqu’elle est englobée par l’aspect culturel) qui nous permet de communiquer par delà les frontières que les hommes ont tracées parfois arbitrairement. Pour nous qui travaillons dans le domaine spécialisé des affaires et de l’entreprise, la langue française est une sorte de monnaie d’échange.

Je repense ici à cette magnifique carte du monde en rouge, rose et rosé sur fond bleu, qui trône derrière moi, dans mon bureau, et que tous ceux qui me rendent visite voient en même temps que mon visage. Car enfin, la Francophonie, la langue française des affaires internationales, elle est faite aussi de personnes.

Certains se demandent peut-être à quel titre je suis ici. Simplement, je crois, pour le soin tout particulier que je porte à notre invitée invisible qu’est la langue française que j’enseigne depuis maintenant plus de trente ans, en Espagne, à l’Université de Salamanque.

C’est vrai, j’ai publié dernièrement un livre consacré à la correspondance commerciale bilingue espagnol-français, puisque depuis de nombreuses années, je travaille plus spécialement dans le domaine du français des affaires et de l’économie. En confectionnant cet ouvrage, je me suis efforcée de faire savoir (et aussi de mettre en pratique) ce que je recommande journellement : il faut soigner sa langue. Pour moi, bien sûr, l’objet de tous mes soins, c’est la langue française, celle de France, la mienne, celle que j’ai reçue de mes parents, émaillée de légères touches méridionales, puisque le Béarn et les Landes avaient vu naître mes grands-parents.

C’est cette langue française que j’enseigne, sans jamais oublier de souligner que d’autres variétés tout aussi honorables que la mienne coexistent et dont la présence est plus visible de nos jours grâce aux échanges européens qui amènent dans nos classes des étudiants francophones d’ailleurs.

Ce soin que j’apporte à ma langue et qui a été récompensé par la distinction qui m’est remise aujourd’hui, je le recommande à mes étudiants hispanophones et c’est ainsi que j’interprète les propos sur la contribution du français à l’enrichissement lexical d’autres langues : on pense souvent avec délectation aux mots français qui vont être empruntés à la langue française par d’autres langues mais pour ma part, je ne souhaite pas voir l’espagnol se truffer de gallicismes comme au XVIIIº siècle, à une époque où la France était le phare du monde ; loin de là, mais plutôt le voir se maintenir comme le français, dans sa ligne, dans ses caractéristiques propres (son idiosyncrasie, comme parfois cela a été dit) afin que cette langue puisse faire naturellement face aux nécessités linguistiques qui sont actuellement les siennes. En effet, nous avons, tous, tout à gagner de la solidarité entre les grandes langues. Et cela, les terminologues le savent bien.

Donc, foin de rigidités, de purismes stériles, de complications inutiles : notre langue, comme toute langue naturelle, c’est un ensemble cohérent qui ne demande qu’à vivre, mais qu’il faut bichonner, que ce soit dans sa version courante ou dans ses modalités spécialisées. Et grâce au ciel, nous disposons d’outils divers, nés d’abord de la bonne volonté de certains et aussi de la volonté d’un grand nombre, de voir notre langue évoluer, se diversifier, s’adapter au monde contemporain, mais dans la ligne de ce qui l’a toujours caractérisée : précision, exactitude et aussi esprit et ingéniosité.

Cette Francophonie visible, éclatante et festive aujourd’hui, nous fait graduellement passer à la Francophonie invisible, modeste, faite d’initiatives individuelles, discrètes et qui se cachent parfois sous des activités ou dans des recoins des plus inattendus.

La Francophonie invisible

Je voudrais vous dire deux mots, par exemple de ce qui est fait à Salamanque.

Nous avons d’abord l’enseignement du français général, et nous sommes nombreux à officier en Espagne à tous les niveaux car, en dehors des Facultés de lettres et des Facultés de traduction, nombreux sont les collègues du secondaire qui tiennent courageusement la barre malgré les difficultés rencontrées: effectifs faibles, élèves parfois indifférents ou rebutés par la difficulté, horaires défavorables, absence d’épreuves, même facultatives, au baccalauréat. Chacun fait contre mauvaise figure bon cœur, mène sa classe comme il peut, essaie de maintenir son niveau de connaissances. On aime le français : c’est à prendre ou à laisser.

Et là, il faut que je vous raconte ici une anecdote.

Figurez-vous qu'un après-midi de la semaine dernière, je partais au Centre pédagogique de Salamanque avec, dans mon sac, le courrier du jour qui avait été déposé dans notre boîte, dont la lettre de l'AFPA. Je devais commencer une série de séances destinée au recyclage linguistique d'un groupe de professeurs de français du secondaire. Ce type d’activité est fondamental pour que des collègues ne pouvant se déplacer à l’étranger pour remettre à jour leurs connaissances linguistiques et je m’efforce tous les ans de contribuer aux efforts de chacun. L’an dernier, c’était "La langue française en marche : comment la rattraper ?". Cette année, j’avais intitulé la série de séances :"Le français des spécialités et notre vie quotidienne". Et comme de bien entendu, la question des emprunts à l’anglais, des solutions néologiques issues de la langue française a été posée sans attendre. Pour illustrer le propos et expliquer comment naissaient les mots, et aussi pour détendre la classe au milieu d'un sujet plutôt ardu, j’ai proposé d'ouvrir avec eux un courrier qui venait justement de me parvenir de l'APFA et qui nous donnerait sans aucun doute, comme à chaque envoi, des mots nouveaux, prêts à l'emploi pour les spécialités du commerce et des affaires. Vous m'imaginez donc, devant ma petite douzaine de participants, en train d'ouvrir mon enveloppe avec un crayon pour y découvrir la dernière mouture et ... Bigre ! Voilà qu’en plus de "La surprise terminologique de 2007" qui proposait "instructions et consignes" pour "brief", "réunion préparatoire" pour "briefing" et "réunion bilan" pour "debriefing", il y avait…, mais quoi ? Une invitation, à mon nom, en grandes lettres, pour me rendre à Paris à la cérémonie de remise des prix du Mot d’Or. En quelque sorte, une invitation à notre "réunion bilan" (debriefing) annuelle…

J'avoue que je fus incapable de réprimer ma surprise. Et comme mon public comprenait des collègues de longue date, je ne pus résister au plaisir de partager ma satisfaction avec eux. Et c'est là que je reçus mes premières félicitations. Quel bonheur !

Et pourtant, je dois vous dire que lorsque j’envoyais à Monsieur Lauginie un exemplaire de mon livre de correspondance commerciale bilingue, je ne pensais en aucune façon à une distinction particulière. En fait, je faisais comme les parents d'un nouveau-né qui font part à leur entourage de leur joie ; car, en vérité, un livre terminé, malgré ses faiblesses, c'est à la fois un achèvement et un début. En ouvrant l'enveloppe, j'étais à cent lieues de penser que ce geste innocent, de sympathie et de reconnaissance à votre égard, Monsieur Lauginie, pour toute l'activité que vous déployez en faveur de la langue française aurait une telle conséquence !

Au-delà de l’anecdote, on voit que les avancées de notre association sont fructueuses et qu’elles essaiment où l’on ne l’imaginerait jamais !

Mais revenons à notre question.

La langue des affaires en français, je la pratique à l’Université de Salamanque, dans mes cours de traduction spécialisée de l’économie et du commerce. Et je la fais pratiquer. Je citerai par exemple la thèse d’un ancien étudiant de chez nous, devenu depuis maître de conférences à l’Université de Mulhouse (Monsieur Christian Vicente García) et qui a étudié de près le lexique du commerce électronique en espagnol, en français et en anglais pour venir en aide, entre autres, aux traducteurs.

Par ailleurs, l’Université de Salamanque, marquée par une tradition séculaire d’accueil d’étudiants étrangers, reçoit chaque année, en particulier à la Faculté de Traduction, des étudiants de divers pays d’Afrique qui viennent chercher auprès de nous enseignement et la formation nécessaires à la réalisation de leur thèse de doctorat qui se situe généralement dans le domaine des langues spécialisées. Parmi eux, nombreux sont ceux qui choisissent le français pour la rédaction de leur travail et la soutenance. Personnellement, nous les y aidons, convaincus qu’il est justice qu’ensuite, de retour chez eux, ils rendent un peu de ce qu’ils ont reçu auprès de nous et diffusent à leur tour, généralement dans l’enseignement supérieur, leurs acquis et leur savoir, en français.

Et je ne peux m’empêcher de repenser à l’un de mes anciens doctorants africains m’annonçant son mariage avec une jeune femme issue d’un groupe ethnique différent du sien, parlant donc une autre langue que la sienne et qui me précisait c’était le français qui les avait réunis pour la vie. Et quelle satisfaction de penser que leurs enfants baigneraient par voie de conséquence dans la langue française !

Bref, cette journée éclatante, placée sous les auspices de la Francophonie et consacrée à la langue des affaires, représente pour moi une reconnaissance de nombreuses années au service de ma langue. Grâce aux efforts toujours renouvelés des membres de l’APFA et de son président Monsieur Lauginie, grâce aux initiatives terminologiques des uns et des autres, nous, les enseignants, avons la chance de bénéficier constamment d’informations linguistiques récentes en matière économique et entrepreneuriale. C’est très appréciable dans un monde où la diffusion de l’information est très dispersée, très rapide, et parfois furtive.

Encore merci.


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