Allocution de Nicole MAROGER,

Lectrice à l’université d’économie et de commerce de Florence - Italie

9 juin 1992

Je voudrais quant à moi m’adresser plus particulièrement aux étudiants avec qui j’ai travaillé toute l’année et qui ont constitué la matière première humaine du "Mot d’Or". Sans la participation active d’un certain nombre d’entre eux, il n'y aurait pas en ce moment de remise des prix, donc pas de fête. Je les remercie tous, même ceux que cette épreuve de motivation n’a pas motivés, qui n’ont voulu voir dans ce jeu qu’un examen de plus.

Car le "Mot d’Or" est bien un jeu, même s’il s’agit d’un jeu sérieux. Il s’inspire en quelque sorte des techniques de simulation. Les étudiants doivent s’improviser, l’espace de quatre questions, à la fois terminologues et entrepreneurs.

Terminologues en français dans la première partie : il s'agissait, à partir de 20 définitions enregistrées dans le Dictionnaire des néologismes officiels, de trouver le mot français correspondant. Les résultats ont été excellents.

Terminologues en italien dans la deuxième partie, et c’est là que les choses se sont un peu gâtées. Il fallait trouver une traduction possible à des équivalents français disséminés dans un texte. C’est la question qui a obtenu le plus faible taux de réponses satisfaisantes, même de la part des étudiants habituellement les plus inventifs. Sans doute l’imagination peut-elle se suffire à elle-même dans des domaines comme la mode ou les modes, le tourisme, les objets nouveaux de la vie quotidienne [jet-ski = moto marine, best-seller = succès de librairie, mountain bike = VTT, house boat = coche de plaisance, etc.] où même des enfants de cinq à douze ans arrivent spontanément à traduire hot-dog par saucipain, caddie par pousse-courses, ou short par minifroc (Textes et documents pour la classe, n° 454,
La francophonie, p. 80). Mais elle est insuffisante dans des domaines très techniques, comme le commerce, la banque, la finance, l’informatique, où à un mot peut correspondre non plus une image mais une pluralité de concepts et donc une pluralité d’équivalents possibles [leasing, cash-flow]. L’imagination a alors besoin du double support de la science linguistique et technique, sans lequel elle est paralysée. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les Universités de Paris VII et de Rennes préparent depuis deux ans à un diplôme nouveau et donc à un métier nouveau : celui de terminologue-traducteur. Ce dernier travaille en étroite relation avec les professionnels des secteurs intéressés. Toutes les grandes entreprises ont compris l’enjeu économique considérable de la normalisation du vocabulaire technique. IBM-France emploie déjà 10 terminologues-traducteurs pour veiller à la qualité de sa terminologie et assurer la continuité de son emploi depuis le début de la chaîne de production jusqu’à l’utilisateur final : il est essentiel que les mêmes termes soient utilisés pour désigner exactement les mêmes pièces, les mêmes processus.

La troisième partie invitait les étudiants à réfléchir et à expliquer à partir de la définition de la mercatique "ce que devrait être une véritable mercatique éducative". C’est la seule question qui ait enregistré deux réponses entièrement blanches. L’ensemble des étudiants ne pense pas que la "mercatique éducative consiste à valoriser les compétences de l’école". Si la mercatique c’est "l’ensemble des actions destinées à détecter les besoins et à adapter en conséquence et de façon continue la production et la commercialisation", la mercatique éducative s’occupera donc de détecter les besoins des étudiants et d’adapter l’enseignement à ces besoins. Deux étudiantes écrivent "qu’une véritable mercatique éducative devrait faciliter les rapports entre les jeunes et le monde du travail". Un étudiant ajoute qu’il faut tenir compte des intérêts des étudiants, chercher à adapter les programmes d’enseignement à leurs exigences, tandis qu’un autre souligne justement qu’il faut considérer aussi les besoins des entreprises afin d’y adapter la préparation des étudiants. Pour un dernier enfin, la mercatique éducative devrait être "une discipline qui apprend aux étudiants à se placer du point de vue du consommateur afin de satisfaire leurs besoins, quand ils devront faire des choix commerciaux".

Ces réponses en tout cas s’articulent autour de la problématique université-monde du travail, dont une grande partie de leur avenir professionnel dépend.

La quatrième partie enfin les voulait entrepreneurs et je dois dire qu’ils n’ont pas déçu mon attente. C’est la partie qui a été la plus intéressante à corriger. Le sujet en était le suivant : "Vous supposez que vous disposez d’une somme de 50 000
francs français pour exercer votre goût d’entreprendre, vous décrivez les points essentiels du projet qui vous tient le plus à cœur et vous précisez l’étape que vous envisagez de franchir à l’aide de cette somme".

50 000
FF, soit environ 10 millions de lires... Cela a causé bien des perplexités et des blocages : la somme était jugée insuffisante, même pour une étape initiale. Passé ce premier moment, ils se sont révélés des entrepreneurs entreprenants et leurs projets, dont certains sont de véritables projets, ne manquent ni d’intérêt ni souvent d’originalité.

Quelques considérations d’ordre général se dégagent. En premier lieu, l’entreprise envisagée, quel que soit son type, est avant tout locale, implantée dans la région d’origine de chaque étudiant, avec donc une nette prédominance pour la Toscane. En second lieu, que le projet prenne racine dans le domaine touristique, agricole, social ou sportif, beaucoup ont en commun un souci majeur : protéger ou soigner l’environnement. Il n’est pas rare que des motivations humanitaires alimentent à la base cette orientation, ou viennent s’y greffer dessus. Ainsi, semblerait se dessiner à travers ces ébauches, une étroite dialectique entre morale et affaires.

Nous pourrions nous amuser à décerner une mention spéciale à quatre catégories de projets : les plus écologiques, les plus humanitaires, les plus exotiques, les plus "sérieux".

Parmi les plus écologiques, on citera la construction d’une serre où produire des légumes sans engrais chimiques, et ce grâce à un élevage de vers de terre destinés à fertiliser le terrain naturellement (Sciota) ; ou bien la création d’un gîte agrotouristique où seront gérées de pair des activités multiples : sports, élevage de chevaux, pépinière (Bigiarini).

Les projets humanitaires envisagent par exemple, dans les locaux d’une école désaffectée d’un petit village, l’ouverture d’un centre récréatif pour personnes âgées (Micheli), ou celle d’un manège à vocation thérapeutique pour enfants handicapés (Schincaglia) ou encore la création d’une "garderie" pour les animaux avec l’aide d’étudiants en médecine vétérinaire (Nencioni).

Les deux projets les plus exotiques prévoient, l’un, l’ouverture d’un manège sur les collines du Chianti ; cela pourrait paraître banal si notre hardi entrepreneur n’envisageait de proposer le chameau, réputé pour sa sobriété, comme alternative au cheval (Borsini) ; l’autre la construction et la gestion d’un grand bassin exotique, doté "de poissons bariolés et de plantes marines tropicales", à visiter sous l’eau. Cela pour satisfaire le besoin d’exotisme de tous ceux qui n’ont pas les moyens d’aller aux Caraïbes ou à Hawaï (GCLombardi).

Les projets "sérieux" consistent, l’un, dans la création d’une œnothèque avec activités diversifiées de dégustation puis de restauration (Corradini) ; l’autre dans l’ouverture d’un bureau d’un genre nouveau qui s’occuperait des problèmes de l’environnement du point de vue des entreprises en analysant, d’une part, les conséquences des politiques et des stratégies de production, en promouvant, d’autre part, l’image même des entreprises qui parraineraient des actions en faveur de l’environnement (Conti). Ce projet m’est apparu utile et convaincant. La confrontation entre différents secteurs de l’industrie dont les intérêts sont traditionnellement divergents, n’a jamais été sans doute aussi impérative.

Je me réjouis que le don de l’Institut Universitaire Européen ait permis d’offrir à chaque étudiant un ouvrage le plus en rapport possible avec le projet qu’il a élaboré.

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