Allocution d’Alain ROSSIGNOL,
Inspecteur Pédagogique Régional, Inspecteur d’Académie


Dakar, le 9 mai 1992


Mesdames, Messieurs,

Chers amis candidats de la Coupe francophone des Affaires,

Le 17 mars dernier, trois jours avant que l’on ne fête la journée annuelle de la Francophonie, le 20mars, vous avez pris le risque de vous lancer dans une grande aventure : celle de la langue française appliquée au domaine des affaires.

Vous êtes de ceux qui utilisez plus volontiers le mot "logiciel" que son équivalent anglophone, et peut-être aussi les mots "crédit-bail" ou "mercatique"...

L’épreuve du "Mot d’or" qui vous était proposée vous a incités à réfléchir sur la réalité d’une langue qui pouvait enrichir votre vocabulaire : le sujet, divisé en quatre parties, exerçait votre "savoir-dire" en vous demandant, dans une première partie, de retrouver un mot du français des affaires à partir de sa définition.

Exemple : moyen de communication publicitaire par voie postale. Il fallait répondre "publipostage", en anglais "mailing".

En seconde partie vous était proposé un texte comportant de nombreux termes étrangers dont il fallait trouver l’équivalent francophone.

Exemple : Paul en profita pour aller faire du shopping dans le duty free-shop du ferry-boat, que vous avez tous convertis en "Paul en profita pour aller faire des courses dans la boutique hors-taxes du transbordeur.

Les problèmes terminologiques étaient absents des 3ème et 4ème parties, et vous avez été quelques-uns à y retrouver les vieux démons du franglais ! La troisième partie concernait la "démarche mercatique éducative", c’est-à-dire la capacité à promouvoir, et même stimuler et susciter les besoins d’éducation afin de réaliser l’adaptation continue de l’école à l’entreprise et aux administrations. Enfin, la quatrième partie était destinée à tester la pertinence du "savoir-entreprendre" en français.

À Dakar, vous fûtes plus de 250 à vous mesurer à ce test redoutable. Une quarantaine d’entre vous vont recevoir les récompenses qu’ils méritent (vos camarades de Saint-Louis seront récompensés lors d’une cérémonie qui aura lieu au mois de juin). Mais dans le monde, ce sont plus de 38 000 candidats qui ont concouru, dans 17 pays différents dont, nouvellement arrivés, l’Allemagne, l’Égypte, l’Italie, le Liban, le Maroc et la Nouvelle-Zélande.

Sur le continent africain, le Cameroun, Djibouti et l’Île Maurice vous accompagnent cette année dans cette démarche en faveur d’une langue française bien maîtrisée : le choix d’une terminologie francophone étroitement liée au sens des mots les rend plus explicites, enrichit le vocabulaire, facilite les apprentissages et constitue donc d’indéniables facteurs de progrès et de développement.

Loin d’apparaître comme une lutte contre telle ou telle langue dont on aurait à craindre la domination, cette manifestation doit au contraire révéler l’identité qui fait la force de chaque langue ainsi que le respect de la langue d’autrui qu’on ne peut s’approprier impunément sans dommage.

Mais si l’on maîtrise la vie des mots, si l’on pose quelques garde-fous, il est possible d’éviter que ne se fige la langue. Elle peut alors s’adapter aux dernières technologies, nous faire découvrir des mots nouveaux, soit forgés de toute pièce, soit adaptés à partir des habitudes de langage. Car une langue doit être avant tout vivante.

D’abord par l’usage que l’on en fait. Les mots se forment et se déforment "entre viol et caresse" comme dit Édouard MAUNICK, poète mauricien de la francophonie. Et puis les métissages, les croisements, les influences diverses l’enrichissent et la complètent. "Étiquette", devenue "ticket" en anglais, nous est revenue en "ticket". "Facteur" (qui signifiait au 16ème siècle "personne qui fait le commerce pour le compte d’un autre") est devenu "factor" en anglais et son dérivé "factoring" : nous souhaitons en faire "affacturage" pour désigner l’action de gérer des créances pour le compte d’autrui.

C’est la Commission de Terminologie du Ministère français des Finances, en liaison avec la Commission de Terminologie Générale de Délégation Générale à la Langue française, présidée par Monsieur Bernard CERQUIGLINI, qui constituent les organes de tutelle des mots nouveaux. L’Agence de Coopération Culturelle et Technique (A.C.C.T) participe à la réalisation et au succès de la manifestation que nous organisons, ainsi que le Haut Conseil de la Francophonie, la C.C.C.E. (Caisse Centre de Coopération Économique), l’ambassade de Belgique et la Mission Française de Coopération et d’Action Culturelle de Dakar. Ils agissent en tant que mécènes. Le groupe Air France, Renault-Sénégal, Canal-Horizon, BuIl, Bourgi-Transit, les hôtels Savana, Obbo, la librairie des Quatre Vents, les Éditions Bordas, Hatier, Hachette, etc. etc. agissent en tant que parrains (ou parraineurs). Toutes les occasions sont bonnes pour faire de la terminologie, et vous voyez la richesse du vocabulaire francophone alors qu’un seul terme est généralement utilisé en anglais ! Au cours de sa dernière session annuelle, la 8ème depuis sa création, le Haut Conseil de la Francophonie s’est penché sur l’utilisation du français en tant que langue scientifique, et son Secrétaire Général, Monsieur Stélio FARANDJIS, a souligné "qu’en Afrique, où le français est une langue seconde, et non maternelle, pour la grande majorité des habitants, tous les scientifiques sont, à proprement parler, francophones et continuent, pour la plupart, d’utiliser le français comme langue de travail et de communication alors que dans les pays du Nord, en France et de manière encore plus dramatique en Belgique, en Suisse, au Canada, un quart seulement des articles de découvertes scientifiques inédites sont rédigés en français. D’où les mesures de persuasion et non de coercition, prises à l’endroit des scientifiques dont les travaux sont financés par des fond publics. En, outre, le Haut Conseil de la Francophonie a fait cinq propositions prioritaires, parmi lesquelles celle d’améliorer l’accueil des étudiants et chercheurs francophones du Sud, par une politique de sélection, de bourses et de logement. "La place de la francophonie dans la communauté scientifique mondiale ne se fera pas, assure-t-on, sans la valorisation des scientifiques du Sud, notamment d’Afrique francophone".

La Coupe francophone des Affaires doit permettre à la communauté scientifique francophone de communiquer grâce à une langue commerciale précise et forte. Le lauréat (ou la lauréate), c’est-à-dire celui ou celle qui obtiendra le premier prix de cette manifestation, se rendra à Paris pour assister, le 22 octobre 1992, à la journée du Français des Affaires. Il y représentera le Sénégal et sa capacité à négocier, à gérer et à communiquer en français.

Avant de conclure, et puisque l’un de nos objectifs est de rapprocher le système éducatif de l’environnement économique, je tiens à dire un grand merci à toutes les entreprises qui, avec une spontanéité et une générosité exceptionnelles, contribuent à la réussite de cette manifestation.

Enfin, je voudrais souligner l’excellent accueil que les autorités de ce pays ont réservé à mon projet, et rendre hommage à l’action décisive de Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, Monsieur André SONKO. Je vous remercie tous de manifester de manière aussi vive votre attachement à la langue française.

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