Allocution prononcée par M. Jean-Marc CHEVROT,
Délégué de l'APFA pour la région Auvergne et auteur des sujets du Mot d'Or,
à Clermont-Ferrand le le 19 mai 1993


POURQUOI UNE COUPE FRANCOPHONE DES AFFAIRES ?

"Davantage je te veux bien encourager et prendre la sage habitude d’inventer des vocables nouveaux pourvu qu'ils soient moulés et façonnés sur un patron déjà reçu du peuple" (Pierre de Ronsard).

La Coupe francophone des affaires a été lancée en 1988 par l’association "Actions pour promouvoir le français des affaires" (APFA), avec l’aide des inspections pédagogiques régionales d’économie et gestion, des centre régionaux de documentation pédagogique (CRDP) et des centres d’information et de communication (CICOM) du Ministère de l’économie et du Ministère du budget et avec le patronage du Haut conseil de la Francophonie et de la Délégation générale à la langue française.

L’APFA est une association patronnée par la Délégation générale à la langue française pour faire connaître et adopter les mots nouveaux rendus nécessaires par l’évolution des techniques dans le domaine des affaires.

L’APFA agit en direction des médias dont le pouvoir d’exemple est redoutable et auprès des jeunes pour les sensibiliser aux problèmes et les former à de bonnes habitudes de langage : la Coupe francophone des affaires constitue le point fort de cette action.

Le milieu des affaires est étroitement lié au développement des techniques de pointe, malheureusement souvent d’origine étrangère. Il en résulte que le français des affaires est depuis longtemps colonisé par des mots étrangers. Le franglais sévit dans les transactions commerciales, les documents professionnels et publicitaires, les ouvrages universitaires et scolaires.

Ce phénomène de paresse et de régression culturelle est très pernicieux car l’emploi désordonné de mots étrangers ne s’accompagne pas toujours, dans l’esprit de ceux qui les emploient, d’une conscience claire de leur signification. Parler franglais, c’est souvent parler flou et penser faux.

Il ne s’agit nullement de lutter contre l’anglais dont il faut encourager l’apprentissage et la pratique. Certains, en prenant connaissance des sujets de la Coupe francophone des affaires, ont pensé que trop de mots anglais y apparaissent, que cela a pour effet de les faire connaître et peut aller à l’encontre de l’objectif poursuivi ! Tant mieux si la coupe apprend des mots anglais aux candidats. Ils n’en sauront jamais trop. Parlons anglais et parlons français. Mais ne mélangeons pas les deux langues ! Les anglophones qui connaissent aussi le français sont les premiers à nous le dire car ils ne comprennent rien au franglais. Un mot anglais sorti de son contexte linguistique perd l’essentiel de sa signification, se trouve dépourvu de toutes les nuances nécessaires à sa bonne compréhension.

Pour prendre un exemple emprunté à la langue courante, comment savoir si le mot "look", utilisé seul dans une phrase française, signifie allure, apparence, air, mine, mode, aspect, façon, regard ou coup d’œil ?

Et que dire des faux mots anglais (parrainage se dit "sponsorship" en anglais et non pas "sponsoring") ?

L’usage abusif de mots étrangers présente un autre inconvénient : les francophones qui ne les connaissent pas ne peuvent pas en deviner le sens, même de manière approximative, comme ils le font lorsqu’ils entendent un mot inhabituel appartenant à leur langue et le comprennent, au moins partiellement, grâce à son étymologie ou sa parenté avec d’autres mots connus.

Ainsi, les mots franglais "phoning" et "mailing", exemples typiques de mots utilisés par les commerciaux français avec une acception professionnelle limitée qu’ils n’ont pas en anglais, ne sont compris que par les spécialistes alors que les mots français correspondants (démarchage téléphonique et publipostage) peuvent être aisément interprétés par tout francophone.

Citons un dernier inconvénient, qui n’est pas le moindre : la prononciation des mots étrangers placés dans une phrase française pose un problème à ceux qui ignorent la langue étrangère bien sûr, mais aussi à ceux qui la connaissent et qui sont tentés de respecter les accents toniques des deux langues et se trouvent confrontés à un exercice difficile de phonétique : le mot "merchandising" (marchandisage) n’est pas d’un emploi commode en français...

Notons au passage qu’une langue peut être pervertie par l’influence d’une langue étrangère même sans emprunts de mots étrangers, par simple changement de sens ou de conditions d’emploi de mots indigènes sous l’influence de mots voisins de la langue étrangère. Les anglicismes masqués sont les plus redoutables car ils attaquent la langue comme des virus. Voici quelques exemples connus de tous :

"opportunité" employé au sens d’occasion (alors qu’il désigne la qualité de ce qui est opportun),

"compétition" employé au sens de concurrence (alors qu’il est normalement réservé au sport ou à une émulation non commerciale),

"conventionnel" employé au sens de traditionnel, classique (alors qu’il signifie "résultant d’une convention" ou "conforme aux usages sociaux"),

"contrôle" employé au sens de commande ou régulation (alors qu’un contrôle n’est qu’une vérification),

"sophistiqué" employé au sens de perfectionné, complexe (alors qu’il s’applique classiquement à quelqu’un qui manque de naturel),

"initier" employé au sens de commencer, entreprendre (alors qu’il signifie mettre au courant d’une science, d’un art, d’une profession, etc.),

"finalisé" employé au sens de terminé, achevé (alors qu’il désigne ce qui a une finalité),

"temps réel" employé au sens de temps actuel,

"délivrer un coup de pistolet, délivrer une balle" (au lieu de tirer, dans le langage sportif),

"entrer un nombre au clavier" (au lieu de saisir ou introduire : le verbe entrer est intransitif en français et n’admet pas de complément d’objet).

Ce genre de dérive est très courant dans la "parlure" québécoise, contaminée par l’anglais tout proche malgré la vigilance linguistique de nos cousins :

"les bleus" ("blues" en anglais) pour "le cafard",

"un paquet de troubles" ("a lot of troubles") pour "un tas d’ennuis",

"une canne" ("can") pour "une boîte de conserve",

"une application" ("application") pour "une demande d’emploi",

"une vraie copie" ("true copy") pour "une copie conforme",

"corporatif" ("corporate") pour "social", "de la société",

"à date" ("up to date") pour "à jour"...

Les francophones sont par ailleurs capables d’assimiler aisément les mots nouveaux lorsque ceux-ci sont élaborés en respectant les habitudes de leur langue et la langue française se révèle parfaitement appropriée aux techniques modernes : informatique a fait oublier "data processing", ordinateur a supplanté "computer", logiciel et matériel ont remplacé "software" et "hardware", bureautique n’a même pas laissé le temps à "office automation" de se faire connaître...

L’adaptation de la langue française à l’évolution des techniques et des réalités économiques n’est pas une affaire purement française. La France ne contient que la moitié des francophones. La promotion du français, c’est aussi la promotion de notre culture et la promotion des relations interculturelles avec de nombreux pays car le français est (avec l’anglais, l’espagnol et le portugais...) une des (rares) langues qui servent de véhicules à des univers culturels différents.

Rappelons enfin que l’utilisation des termes français est devenue une exigence légale dans les transactions commerciales, les contrats de travail, la presse radiotélévisée, l’affichage, les documents administratifs et l’enseignement depuis la loi du 31 décembre 1975.

Chaque ministère a en tout cas mis en place une commission de terminologie qui inventorie les lacunes éventuelles du vocabulaire français par rapport aux besoins des usagers et propose les équivalents existants mais mal connus et mal utilisés et les néologismes nécessaires en précisant leurs sens par des définitions précises et des conseils d’emploi : l’ensemble des arrêtés relatifs à la terminologie constitue un véritable dictionnaire.

Prenons un exemple. Le mot SPONSOR est actuellement un mot anglais mais c’était à l’origine un mot latin (spondeo - sponsum - sponsor...) et il aurait pu être aisément francisé à partir de ses radicaux latins. Mais il existe suffisamment d’équivalents possibles en français actuel pour que cela soit inutile. La Commission de terminologie économique et financière s’est donc attachée à préciser le sens des mots français utilisables. C’est ainsi que le mot franglais "SPONSORING" peut être avantageusement remplacé par :

- le PARRAINAGE pour un "soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct" (ex: parrainage d’un sportif par un fabricant d’articles de sport) ;

- le MÉCÉNAT pour un "soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général" (ex : don de lots par un organisme ou une entreprise pour la Coupe francophone des affaires) ;

- le PATRONAGE pour un "soutien moral explicite apporté à une personne, une organisation ou une manifestation" (ex : soutien apporté à la Coupe francophone des affaires par le Haut Conseil de la Francophonie).

Lorsqu’il n’existe pas d’équivalent satisfaisant en français, la Commission s’efforce de forger un néologisme en respectant les habitudes de la langue et de le définir avec précision : la MERCATIQUE (du mot latin mercatus) est proposée pour remplacer le mot anglais "MARKETING" et définie comme "l’ensemble des actions destinées à détecter les besoins et à adapter en conséquence et de façon continue la production et la commercialisation".

Une définition plus complète est prévue pour les spécialistes : la mercatique est "l’ensemble des actions qui ont pour objectif de prévoir ou de constater - et, le cas échéant, de stimuler, susciter ou renouveler - les besoins du consommateur en telle catégorie de produits ou de services, et de réaliser l’adaptation continue de l’appareil productif et de l’appareil commercial d’une entreprise aux besoins ainsi déterminés".

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