LE MOT D'OR 1993 AU SÉNÉGAL

(Interventions de MM. Rossignol, Maunick et Ndoye et photos de la cérémonie)

Intervention d’Alain ROSSIGNOL,
Inspecteur Pédagogique Régional, Inspecteur d’Académie

Monsieur le Ministre délégué représentant Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale,
Monsieur le Ministre de l’Emploi, du Travail et de la Formation professionnelle,
Monsieur le Conseiller Culturel représentant Monsieur l’Ambassadeur de France,
Monsieur le Membre du Haut Conseil de la Francophonie,
Monsieur le Directeur-Adjoint de la Caisse Française de Développement,
Mesdames, Messieurs, chers amis du Mot d’Or,

C'est désormais une tradition au Sénégal que de suivre, chaque année, les progrès de notre patrimoine commun, la langue française, dans ses applications technologiques.

Le français des affaires, c’est l’outil quotidien de millions d’individus dans le monde, c’est une culture partagée, enrichissante, nourricière, qui permet d’harmoniser les échanges dans un espace économique toujours plus vaste. Sans une langue fonctionnelle, précise, juste, sans ces mots recouvrant exactement les définitions conceptuelles, il n’est pas de relations commerciales fiables.

Si le métissage de la langue constitue un enrichissement incontestable, les emprunts aux autres langues peuvent être faits en déviation du sens originel. Il n’est pas difficile d’imaginer les tracasseries que pourraient entraîner de telles confusions dans le cadre d’échanges commerciaux internationaux.

C’est la raison pour laquelle de nombreuses instances sont attentives à l’évolution naturelle de notre langue. Certes, il convient de la laisser vivre, mais tout en la guidant. Les commissions de terminologie ont été créées dans cette perspective, et j’ai aujourd’hui te plaisir de vous annoncer que, sous réserve de l’accord définitif des autorités compétentes, sera installée au Sénégal, très prochainement, une Haute Commission de Terminologie dont la mission sera de répertorier les termes étrangers dont la francisation est requise, de proposer des équivalents français, et de définir les néologismes appropriés pour désigner les réalités contemporaines ou spécifiques au Sénégal.

Elle aura à se pencher sur le berceau des mots : leur mode de création est tellement divers ! La meilleure et la plus simple des solutions, pour une Commission de terminologie, est d’entériner l’usage lorsque celui-ci n’a pas dénaturé le mot. C’est ainsi que "ticket" est parfaitement admis, depuis longtemps, bien que d’origine anglaise (mais le mot a lui-même été intégré dans la langue d’outre-Manche à partir du français "étiquette" : nous importons du vocabulaire, mais nous en exportons aussi, et la "balance linguistique" n’est peut-être pas aussi déficitaire qu’il n’y paraît !).

Une autre façon d’adapter la terminologie francophone aux exigences du monde moderne est de franciser les mots : "manager" en "manageur", "container" en "conteneur", etc... Mais la plus séduisante des activités des commissions de terminologie me paraît être celle qui consiste à créer les mots, à faire de chacun de ses membres, pour reprendre l’heureuse formule d’Édouard MAUNICK, un "orpailleur" de la langue française. Le très beau "logiciel" a fait ses preuves. La "mercatique" frappe encore à la porte des usagers du marketing. Mais le publipostage et le crédit-bail n’ont plus de difficulté pour s’imposer devant le "mailing" et le "leasing".

D’autres équivalents ne manquent pas de saveur : "Bed and breakfast", cette prestation hôtelière bien connue dans la profession, devient en français "café-couette". Et comment traduire cette autre prestation de restauration qu’un de nos parraineurs a fort aimablement proposée en récompense à l’un de nos lauréats : "brunch", la contraction de "breakfast" et de "lunch" ? L’habileté serait de conserver le mode de formation du mot anglais en français. Le terrain est encore vierge. Comme le soulignait à cette même tribune Bernard CERQUIGLINI, Délégué général à la Langue française, lors de la cérémonie de 1992 : "Le français appartient à celui qui le parle, à celui qui le fait vivre. Chacun d’entre nous est responsable de la francophonie, des options de son développement, du progrès de sa langue." C’est à vous tous, dans cette salle, de participer à sa création.

Si les exemples cités sont tous dérivés de l’anglais - et il faut bien admettre que le franglais a pris dans le parler quotidien une importance inquiétante -, cela ne signifie pas pour autant que l’action d’une commission de terminologie est exclusivement condamnée à la traduction. Une récente décision de la commission française de terminologie pour l’enrichissement du vocabulaire économique et financier a proposé un équivalent à l’expression : "logiciel de traitement de textes". C’est TEXTEUR. À la lumière de cet exemple, on perçoit les règles que peut suivre une instance terminologique : créer des mots simples à prononcer, évocateurs, courts si possible, et s’inscrivant aisément dans une famille de mots. Ici, texteur a pour homologues "tableur", "grapheur".

Mais si l’on parle de réglementer, c’est pour guider, non pour contraindre. La langue est vivante : elle ne se pliera pas aux rigueurs de la Loi. Il paraît illusoire de vouloir imposer, sanctions à l’appui, tel ou tel mot sous prétexte qu’un décret a réglementé son usage. On ne divise pas un patrimoine commun. C’est vous, qui êtes aujourd’hui réunis dans cette salle, qui ferez le vocabulaire terminologique de demain. Et je sais que vous le ferez avec enthousiasme et avec rigueur.

Votre adhésion à cette manifestation en est un témoignage. De 250 candidats l’année dernière, nous sommes passés à plus de 600 cette année, malgré des aléas qui n’ont pas permis aux lycées commerciaux de Saint-Louis et Kaolack, ainsi qu’à I’ENSUT de Dakar, de participer à la version 1993 du "Mot d’Or". L’enthousiasme a gagné les organisations et entreprises présentes au Sénégal : elles nous ont apporté un soutien massif. La liste des prix accordés aux 43 lauréats qui vont être récompensés aujourd’hui n’a pas moins de 14 pages ! Sans l’adhésion des entreprises, notre manifestation n’aurait pas de sens. Leur présence ici témoigne de la vitalité du partenariat que nous avons su, les uns et les autres, instaurer dans J’espace éducatif de ce pays. Le mérite en revient certes à ces entreprises qui nous ont ouvert leurs portes, mais également aux autorités du Ministère de l’Éducation nationale, et je voudrais rendre hommage à Monsieur André SONKO, Ministre de l’Éducation nationale, que les obligations de sa fonction ont retenu en province ce matin. Je remercie vivement Monsieur le Ministre délégué d’avoir bien voulu le représenter.

Monsieur le Conseiller Culturel, vous apportez au Mot d’Or le salut de Monsieur l’Ambassadeur de France. Je vous en remercie. Mais vous représentez également la Mission de Coopération et d’Action Culturelle, et le Ministère français de la Coopération qui est présent, à bien des titres, dans le Mot d’Or. Sans vous, sans votre bienveillant soutien, moral et financier, rien de ce qui est fait pour l’usage d’une langue française moderne, rigoureuse et efficace n’aurait pu voir le jour dans le cadre de ce "Mot d’Or".

Enfin, je sais que je n’aurai pas les mots qui conviennent pour remercier Édouard MAUNICK, qui m’honore de son amitié, d’être parmi nous ce matin. Mauricien, Membre du Haut Conseil de la Francophonie, désormais rédacteur en chef à Jeune Afrique, il nous apporte le souffle tonifiant d’une langue française belle, libre, comme nous l’aimons au "Mot d’Or". Un poète dans le français des affaires ? Pourquoi pas. Toute culture doit être une culture partagée. Même celle des affaires.

Bonne journée à tous.


Intervention d’Édouard MAUNICK,
Membre du Haut Conseil de la Francophonie

Édouard MAUNICK s’est exprimé sans notes, selon cette inspiration qu’il a coutume de voler au temps.

Comme la technologie de l’enregistrement nous a fait défaut ce jour-là, et le poète ayant rejoint d’autres cieux, c'est dans notre mémoire qu'il faut retrouver la source de ses dires... en espérant qu’il y reconnaîtra son propos !

Il rappela tout d’abord que ce n’était pas la première fois qu’il participait à une Coupe francophone des Affaires puisque déjà, dans son pays, l’Île Maurice, et par deux fois, ce privilège lui revint.

Il s’était étonné alors qu’on fît appel à un poète pour vanter les mérites d’une langue dont, jusqu’alors, les aspects terminologiques liés au domaine des affaires lui échappaient. Mais il accepta volontiers de se faire "orpailleur" des mots des affaires, avec la complicité des lauréats mauriciens.

Il revient à Dakar après dix ans d’absence... Son parcours personnel est passé entre temps d’une direction de l’UNESCO à la fonction de rédacteur en chef à l’hebdomadaire "Jeune-Afrique". Mais il n’oublie pas (il a de nombreux amis à Dakar, y est connu... et reconnu I - NDLR).

La langue française est son privilège, son attachement le plus profond, mais aussi sa grande permission. Car il faut prendre "des mots d’ailleurs" pour les modeler à notre compréhension du monde contemporain. Pourtant, cette quête d’une langue efficace, plus adaptée aux réalités économiques modernes, ne doit pas occulter le respect du passé. "Tous les pays qui n’ont plus de légende sont condamnés à mourir de froid"...

Et de conclure en souhaitant que dans tous les domaines, la langue doit évoluer au contact des réalités : pourquoi le "tango" figure-t-il dans le dictionnaire alors que le "sega" (danse de l’océan indien) n’y est pas mentionné ?!


Intervention de Mamadou NDOYE,
Ministre délégué de l’Éducation nationale

Monsieur André Sonko, retenu par d’autres obligations, regrette de ne pouvoir être parmi nous ce matin. Il me revient ainsi l’honneur et le plaisir de présider la cérémonie de remise des prix aux lauréats de la Coupe francophone des Affaires.

Une opinion bien ancrée dans les milieux artistiques veut que l’accueil réservé à son deuxième disque décide de la carrière d’un chanteur. Si vous me permettez une pensée analogue, je dirai volontiers que l’engouement suscité par la deuxième édition du "Mot d’Or" augure bien de l’avenir de la Coupe du français des Affaires au Sénégal. L’espoir est permis donc qu’au fil des ans, elle fasse figure de tradition solidement établie et de référence obligée pour tous les établissements du pays chargés de dispenser des formations tertiaires.

Outre notre cérémonie de ce matin, par une heureuse coïncidence, se déroulent présentement à Dakar les travaux de la 45ème conférence des Ministre de l’Éducation des pays ayant en commun l’usage du français : la francophonie se trouve particulièrement distinguée dans l’actualité sénégalaise. C’est bien là un clin d’œil de l’histoire.

Appartenir à l’aire francophone constitue un atout auquel les sénégalais sont attachés : disposer d’une langue officielle qui soit en même temps une grande langue de communication internationale comporte des avantages si évidents qu’il n’est guère besoin de les détailler. C’est que l’idée francophone ne se réduit pas au seul domaine de la langue auquel on aurait peut-être trop vite tendance à la confiner. Au-delà des échanges culturels que le français permet, la francophonie se veut un espace de coopération globale, qui ne laisse en marge aucun domaine essentiel. Elle est ainsi devenue un outil de tout premier plan au service du développement des pays du Sud, et un outil d’autant mieux apprécié que la francophonie respecte les spécificités de chaque société et intègre dans sa démarche la diversité des cultures. Ces spécificités, cette diversité sont plus facilement perçues par des partenaires qui se connaissent bien pour vivre dans une même connivence langagière. Quand ils se voient de loin, les hommes croient être tous semblables, mais c’est alors aussi que les barrières de l’incompréhension les séparent le plus sûrement. Il faut être suffisamment proche de l’autre pour le comprendre et le respecter dans ce qu’il a d’unique - et il ne saurait y avoir de condition plus favorable au rapprochement que la communauté de langue. Rien d’étonnant alors si les Chefs d’État réunis en 1989 au sommet francophone de Dakar ont souligné combien la promotion du français, vecteur de coopération économique et d’échange culturel, ne pouvait aller sans une promotion égale des langues nationales propres à chacun des partenaires. En charge de ce secteur, je ne peux que me réjouir d’une telle approche car, à la logique de l’alternative où étaient sous-jacents des rapports conflictuels d’une autre époque, il convient de substituer une logique de la complémentarité fondée sur une histoire commune assumée positivement non pas, donc le français ou les langues nationales, mais : le français et les langues nationales.

Le bilinguisme à promouvoir ne sera pas appauvrissement mais enrichissement culturel. Qu’il nous faille poser le problème en ces termes s’impose avec d’autant plus de force, du point de vue même du français, que la francophonie se veut une idée dynamique : parler ensemble une même langue, certes ; mais aussi, et d’abord, participer ensemble à l’enrichissement d’un patrimoine commun. Les linguistes le savent bien, mais tous les locuteurs en ont déjà le sentiment : les langues évoluent, et l’un des moteurs de leur évolution est à chercher dans leur capacité à emprunter aux autres et à assimiler des concepts et vocables étrangers. Il y a ainsi un français d’Afrique, qui sait dire les réalités africaines, et les communiquer aux autres continents, parce qu’il est pleinement français, et pleinement africain. Je sais donc gré aux responsables chargés de mettre sur pieds la Haute Commission sénégalaise de Terminologie d’être sensibles à cet aspect des choses et d’avoir retenu, parmi les missions des futurs commissaires, celle de proposer des termes français, ou francisés, aptes à désigner les réalités propres au Sénégal.

La francophonie n’a donc rien de figé et la philosophie qui l’anime ne peut être confondue avec on ne sait trop quelle nostalgie d’un état de pureté de la langue, état au demeurant introuvable et largement mythique. Langue romane issue du latin populaire, le français s’est construit par des emprunts aux langues celtiques et germaniques, mais aussi au grec et à l’arabe : il n’y a aucune raison pour que nos langues nationales ne fournissent, elles aussi, leur contingent de mots nouveaux ou de racines nouvelles, afin de réaliser toujours davantage la visée d’universalité qui anime la francophonie.

La Coupe francophone des Affaires participe de cette volonté d’ouverture au futur que nous souhaitons. Les candidats étaient, entre autres, appelés à pourchasser le franglais et à trouver les termes français les plus efficaces pour remplacer les intrus : je suis intimement persuadé qu’il ne faut pas voir là une quelconque croisade menée sous la bannière de l’authenticité - terme trop chargé. Il s’agit, beaucoup plus profondément et plus intelligemment, de s’en remettre au bon sens, qui veut qu’un terme n’ait de signification qu’à appartenir à un ensemble homogène et ne puisse être compris que par les relations qu’il entretient avec les autres : parler de "gap" donne peut-être l’illusion d’appartenir à un cercle d’initiés, mais "déficit" ou "écart" permet d’être compris par le plus grand nombre...

La francophonie trouve son fondement dans le mouvement et l’ouverture : quelle plus belle illustration de ce dynamisme pouvait-on trouver que la présence ici ce matin de Monsieur Édouard MAUNICK, grande figure de la poésie mauricienne et membre éminent du Haut Conseil de la Francophonie. Soyez vivement remercié, Monsieur, d’avoir accepté de rehausser de votre présence l’éclat de cette cérémonie et d’avoir prononcé des paroles dont nous garderons longtemps te souvenir gravé dans nos mémoires. Il me faut également remercier les organisateurs de la Coupe francophone des Affaires, pour leur engagement et leur dévouement. Je remercie aussi très chaleureusement les sociétés de la place dont le parrainage permet de récompenser les lauréats. J’adresse enfin mes félicitation les plus sincères à ces derniers pour leur succès. Qu’ils trouvent ici l’expression des encouragements que je leur prodigue, au nom de Monsieur le Président de La République, de Monsieur le Premier Ministre et de son Gouvernement et en mon nom personnel, à persévérer dans la promotion et l’enrichissement du français comme langue des échanges et de la coopération.


Quelques photos de la cérémonie : cliquez sur les photos pour les agrandir.

(Documents transmis par M. Alain ROSSIGNOL)

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