Conférence de Claude CHOLLET,
Directeur général de Beaufour Ipsen-International

VIVRE L'AVENTURE DU FRANÇAIS DANS UNE STRATÉGIE DE PLURILINGUISME

Claude CHOLLET ouvre sa conférence par des dédicaces, "au pluriel, dédicace, pour ceux qui ont fait du latin, cela vient de dedicatio, consacré à ou inauguré, un temple ou un théâtre, un théâtre ce n 'est pas le lieu, un temple oui, on pourrait considérer que l'APFA. est un des temples de la langue française" en hommage à des créateurs et des amoureux du langage : Georges PERREC, Jacques PERRET l'auteur du "Caporal épinglé" (et non l'inventeur du néologisme ordinateur), LITTRÉ et... l'APFA.

En prenant appui sur la définition du linguiste Pierre RAYNAUD "toute communication est un malentendu" et sur le schéma de la communication entre deux personnes A et B "avec au milieu une espèce de boîte noire dont personne ne connaît le fonctionnement, qui est une boîte de codage et de décodage", Claude CHOLLET montre que "le seul problème, c'est d'essayer de minimiser ce malentendu autant que possible, car il n 'y a pas de transparence absolue".

Sans oublier la communication par les gestes "On ne communique pas que par la parole et par l'écrit. On communique aussi par les gestes, il y a les gestuelles de la communication, il y a des attitudes des corps qui ne sont pas les mêmes suivant les cultures. Hier, j'ai reçu un Indien et pendant que je lui parlais, il faisait des mouvements gestuels, ce qui voulait dire qu 'il était d'accord. Parce que chez lui, on fait comme ça. Je le savais, donc cela ne m'a pas inquiété, c 'est une gestuelle un peu différente", Claude CHOLLET s'en tient à la communication à travers une langue qui est "a minima une expression et un contenu ou le contraire si vous préférez, un contenu plus une expression", formule qu'il illustre brillamment.

Puis il explique que la communication dans l'entreprise se comprend "à partir d' une figure en forme de triangle : les clients, "la première valeur de l'entreprise", les collaborateurs au siège et les collaborateurs sur place, "j'ai coutume de dire que la première richesse de l'entreprise ce sont les hommes et les femmes qui travaillent pour l'entreprise, bien avant les actifs financiers", ce qui entraîne la nécessité de parler plusieurs langues dès que l'entreprise a une ouverture sur l'international : "le siège doit parler aux clients, il doit parler aux collaborateurs sur place, dans les différents pays et les collaborateurs sur place doivent parler aux collaborateurs au siège ; ainsi, une double stratégie linguistique doit être mise en place en ce qui concerne l'organisation du siège, je ne parle pas de l'organisation générale du siège mais de l'emploi des langues, l'apprentissage des langues, leur utilisation vis-à -vis des bureaux à l'étranger. Si vous avez des bureaux à l'étranger, il n 'est pas forcément évident que dans l'immédiat, ils vont tous parler le français, et donc il est vivement souhaitable d'avoir au siège des gens qui pratiquent un certain nombre de langues". Des exemples sont donnés, à l'aide de transparents et commentés : "pour les PECO, les pays d'Europe centrale et orientale, c'est l'abréviation officielle de l'union européenne, pour la CEI, SNG en russe, Communauté des États Indépendants, l'ancienne URSS moins les pays baltes. Sur le schéma, quand j'ai mis un (N) à côté, c 'est pour natale, c 'est-à-dire que c 'est une langue parlée par quelqu 'un qui l'a apprise comme langue maternelle. Donc nous pratiquons au siège, l'allemand, l'anglais, le hongrois, le polonais, le russe, l'arabe, le chinois. Il en manque quelques unes, il n 'y a pas le tchèque, mais si on comprend le polonais, on comprend très bien le tchèque, il n'y a pas le roumain par exemple, il n 'y a pas le bulgare non plus, mais si on comprend le russe, on arrive à comprendre le bulgare et sur la CEI nous avons l'allemand, l'anglais, et le russe".

Très attaché à l'acculturation, c'est-à-dire à "l'imprégnation des valeurs culturelles de l'autre, d'un pays, d'un territoire", Claude CHOLLET montre que "quand on vend des produits à l'étranger, on acculture ces produits à l'étranger, nous acculturons notre communication. Nous essayons de rendre proche ce qui est lointain". Ainsi, "quand nous envoyons des expatriés, systématiquement, ils apprennent la langue du pays, alors je ne dis pas que si on leur apprend le thaï, ils vont devenir agrégés de thaïlandais, il y a peu de chance, mais ils auront des rudiments. S'ils partent au Vietnam, ils vont apprendre un peu de vietnamien, s'ils partent en Bulgarie, il vont apprendre du bulgare, s'ils partent en Roumanie ils vont apprendre un peu de roumain. Je crois que c 'est le minimum que l'on puisse faire, c 'est la politesse, c 'est savoir se mettre à la portée des gens et faire un peu le contraire de ce que font nos amis anglo-saxons qui considèrent que de toute façon, on parle l'anglais, donc le monde entier doit parler l'anglais. Donc c'est se mettre dans le bain culturel du pays, ce n 'est pas seulement la langue, c 'est aussi les mœurs, les coutumes, l'histoire, ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire, les couleurs qu'on doit porter ou ne pas porter, c 'est beaucoup plus vaste que cela, mais la langue est très certainement au premier rang".

"Le plurilinguisme, je crois que c'est une réalité dans l'entreprise et puis c 'est une réalité obligatoire. Si on ne domine pas cette question, nous ne pourrons pas nous étendre et nous implanter à l'international.

Est-ce que ce plurilinguisme est une panacée, est-ce que c 'est une recette définitive ? Je ne le pense pas, le plurilinguisme a ses limites. D'abord parce que l'on ne peut pas parler la totalité des langues des pays dans lesquels on se trouve. J'ai vu que parmi les participants au Mot d'Or 95, il y avait des lauréats de Macédoine, de Malte, de Turquie, chez nous, il n 'y a personne qui parle les langues de ces trois pays. C 'est une limite de facto.

La deuxième, mais au fond ce n 'est pas une limite, c 'est plutôt un complément, c 'est que, de toute façon, dans une entreprise, il faut une langue de base qui sera généralement la langue du pays dont l'entreprise est originaire. En ce qui nous concerne, et je me bats ardemment pour cela, c 'est le français, cela a failli ne pas être tout a fait seulement le français, je parle de la communication interne, comment sont envoyées les notes de service à l'intérieur de l'entreprise ? C 'est en français. Et quand nous organisons des réunions mercatiques, que j'organise une fois par an, je les fais en français. C 'est un facteur limitant parce qu 'il y a un certain nombre de collaborateurs qui soit, ne connaissent pas du tout le français, ce sont des gens très bien par ailleurs, soit ne le connaissent pas assez pour pouvoir participer pleinement. C'est un problème, mais il y a une solution. La solution, elle dépend de la bonne volonté de l'intéressé et de la volonté d'entreprise, c'est d'apprendre le français aux gens et systématiquement, dans toutes nos filiales à l'étranger, dans tous nos bureaux de représentation. Les gens qui veulent apprendre le français ou se renforcer en français, la réponse est oui tout de suite, c'est l'entreprise qui paye et c'est en partie sur le temps de travail. Il faut aussi faire un effort personnel, prendre un peu de son temps, sinon c'est un peu facile et finalement on y est moins assidu. Cela ne veut pas dire que l'on n'enseigne que le français. Si les gens ont besoin d'un niveau en anglais, on le fait également
".

Conclusion

"La conclusion, c'est que le plurilinguisme se vit au quotidien et évolue au quotidien, d'abord parce que le périmètre géographique de l'entreprise évolue, de par la fluctuation des marchés, le cours des monnaies, les décisions des actionnaires. Mais je crois qu 'en guise de conclusion partielle, on peut dire qu'une entreprise est aussi un texte, c 'est un méga texte et dans les textes que produit l'entreprise, de manière courante, quotidienne, obligatoire, que ce soit par courrier électronique, que ce soit par journal d'entreprise, par lettre, par télécopie, il y a des dominantes qui ressortent, il y a un style, une stylique.

Buffon disait, le style, c'est l'homme, et la langue telle qu'elle est parlée dans l'entreprise, telle qu 'elle est respectée ou telle qu 'elle ne l'est pas, car je ne suis pas si sûr que nous soyons nombreux à avoir mis la langue au centre de notre réflexion, c 'est ce qui détermine en partie le style de l 'entreprise mais ce n 'est pas quelque chose de gratuit, je pense que l'entreprise gagne en efficacité.

Quand on s'exprime clairement, quand on essaye de limiter les malentendus, même si toute communication est un malentendu, a priori, on obtient de moins mauvais résultats que la concurrence. Si la défense de la langue permet de se distinguer parmi la concurrence, c 'est quelque chose de juste et de bon. K'ONG-TSEU (plus connu sous le nom de CONFUCIUS) avait compris cela. Dans ses entretiens CONFUCIUS dit quelque chose d'évident, sans langage commun, les affaires ne peuvent être conclues, au fond c 'est les affaires au sens large du terme, il voulait dire les affaires aussi au sens économique mais pas seulement. Les affaires au sens diplomatique, littéraire, politique, tous les domaines sont possibles et au fond ce que nous essayons de faire parfois maladroitement, c 'est d'insuffler un peu d'amour de la langue et un peu d'amour des langues et pour finir, je voudrais vous lire un petit morceau d'un poème d'un poète allemand, NOVALIS (1772-1801) :

"On retrouve en tous lieux, ceux qu 'on aime.
On découvre partout des ressemblances.
Plus grand est l'amour, plus vaste, plus divers est l'univers qui lui ressemble.
Ma bien-aimée est un abrégé de l'univers, l'univers est l'élongation de ma bien-aimée."

Je vous remercie
".

Diapositives utilisées pendant la conférence. Cliquez sur celles que vous voulez agrandir.

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