Exposé de Charles Wassmer,
Automobiles Citroën

MULTISPACE ET BERLINGO : UN NOUVEAU CONCEPT AUTOMOBILE


Je vais vous parler de stratégie mercatique, c'est-à-dire tout le travail au sein d'une société automobile qui consiste à réfléchir très longtemps, voir même quelques années à l'avance, avant même la conception d'un produit, commencer à réfléchir à son lancement. Comment va-t-on le positionner, comment va-t-on le commercialiser, comment va-t-on le lancer et, dans ce contexte, tout intervient de façon importante, y compris le choix du nom de ce véhicule.

Nous avons lancé il y a quelque temps un véhicule qui répond au nom de "Berlingo", qui est un concept innovant et que l'on a essayé d'expliquer au grand public. Ce véhicule Berlingo qui a été lancé, est un double programme automobile, c'est un véhicule à la fois utilitaire que l'on appelle "Berlingo", ce n'est pas spécifiquement un nom d'utilitaire et d'autre part un véhicule que nous appelons volume, loisirs, prix, c'est-à-dire qui, par certains côtés, rappelle un certain esprit 2 CV dans lequel Citroën s'était illustrée.

Donc, pour ce type de véhicule et de lancement, il y a eu toute une réflexion et le choix du nom participait de cette réflexion. Il faut bien savoir qu'un programme automobile, c'est quelques milliards de francs lourds, c'est réfléchir quelques années avant sur un véhicule qui va vivre plusieurs années, c'est pratiquement embrasser un morceau de temps qui peut s'étendre sur une quinzaine d'années.

Dans un premier temps, avant cette réflexion en amont, il y a une réflexion stratégique sur ce qui risque d'évoluer, sur ce que l'on perçoit comme évolution dans la société. Or, aujourd'hui, et je pense que c'est extrêmement important pour comprendre la démarche, on parle beaucoup de crise mais derrière la crise, on voit aussi énormément de changements et comme nous sommes obligés d'être réactifs, nous sommes obligés d'en tirer des conséquences et d'intégrer cela dans notre définition des produits.

Alors, le changement pour nous, c'est quoi ? C'est quasiment un renversement de paradigme de société, c'est ce que l'on observe à travers nos outils de veille socioculturelle. Pendant des années, le progrès économique, le progrès technique étaient perçus comme synonyme de confort, de progrès humain ; la société de consommation de masse, s'est ainsi construite avec des standards de consommation qui progressaient ; on ne s'en rend peut-être pas compte mais pour des gens, il y a 50 ans, qui n'avaient pas forcément l'eau courante, tout ce progrès technique signifiait plus de confort matériel et l'objet de consommation de masse est né un peu comme cela. C'était beaucoup plus facile de faire des automobiles, parce que c'était déjà un bien qu'on avait envie d'acheter pour soi pour participer à ces standards de consommation. Or aujourd'hui, toutes les règles en matière de faire les produits sont en train d'évoluer profondément. On assiste à un retour de l'humain, à une importance extraordinaire du symbolique, alors que nous, nous sommes plutôt des industriels et des ingénieurs, vous imaginez le virage de pensée qu'il faut faire.

Donc à partir de ces grandes lignes d'évolution, on a essayé de réfléchir au concept Berlingo. A partir de tout ce qu'on peut appeler désir d'humain, besoin d'esthétisation dans sa vie quotidienne, le retour du poétique. On a essayé de définir un produit à succès, c'est quoi ? Ce sont trois choses.

C'est d'abord l'émotion, pourquoi ? Aujourd'hui vous avez toute une standardisation industrielle, une banalisation de l'objet, donc dans le grand public naît, en réaction, un refus des standards, de ce coté hyper-rationalisé, déshumanisé de la vie quotidienne.

Autre point, pour qu'un produit perce sur un marché réussi, c'est le sens. Vous avez une telle profusion d'objets, qu'il est très difficile aujourd'hui dans une espèce de tohu-bohu médiatique d'hyper-concurrence, d'avoir un produit à succès, dès lors qu'il n'a pas un sens évident de par lui-même et le lancement commercial, publicitaire, n'est là que pour justement accompagner ce sens.

Donc aujourd'hui, pratiquement de plus en plus, les gens raisonnent en mode de vie, ils ont leurs propres aspirations, le marché se segmente et se fragmente de plus en plus, donc il faut percer sur certains créneaux du marché avec un sens fort dès le départ et le nom va participer de ce sens.

Autre point clé, une autre règle du jeu, c'est aussi que le produit crée une appartenance. Dans l'automobile, par exemple, c'est simple. Dans un contexte de déstructuration des relations sociales, familiales, même des repas, l'objet de consommation a presque un nouveau statut, c'est celui de recréer des appartenances. On parle même d'appartenance tribale. Vous avez par exemple dans l'automobile, vous avez des formes de reconnaissance qui se créent à partir du type de modèle acheté.

L'industriel était habitué à faire des objets de grande consommation, la consommation de masse, en disant c'est simple, on fait une voiture pour Français moyens, tout le monde va s'y reconnaître, et puis on va faire des séries longues, de la rentabilité. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus compliqué, parce que d'abord personne ne veut plus se reconnaître comme Français moyen, on n'en trouve plus, donc vous avez cet éclatement en tribus, en modes de vie, en segments nouveaux de clientèle.

A partir de là, pourquoi a-t-on choisi des noms comme Berlingo pour un concept automobile ? pourquoi a-t-on parlé de multispace en ce qui concerne la version plus 2 CV du Berlingo ? C'est parce que le nom a une fonction aujourd'hui. Il a celle de créer de l'émotion, de donner du sens et à partir de là, des appartenances se construisent. Nos voitures autrefois pour ceux qui connaissent, avaient des sigles un peu barbares. CX, BX, ZX, XM, etc. En fait, c'était parfaitement en phase avec l'imaginaire industrielle de la société. Vous avez même des sociétés d'études qui ont changé leur dénomination, vous aviez des formules mathématiques un peu partout, aujourd'hui, vous avez une espèce d'éclatement de la poésie au quotidien. Cela ne vient pas tout à fait par hasard. Donc, si vous voulez, nos CX, BX, ZX étaient parfaitement en phase avec l'imaginaire technique et avec l'image de marque de Citroën ; quand on pensait à Automobiles Citroën, on pensait à l'innovation technologique, à la figure de l'ingénieur, parfois même à une espèce de Geo Trouvetou, l'ingénieur dans son coin, un peu sophistiqué, un peu compliqué, le nom avait pour charge justement de signifier cela et ça marchait très bien.

Puis ensuite, on s'est rendu compte qu'on commençait à être un peu décalé par rapport à cette époque et que le nom devait intégrer beaucoup plus d'imaginaire, être à la fois plus qualitatif que quantitatif, dans notre façon de penser, de communiquer sur le produit, ce qualitatif devient de plus en plus important, alors que vous savez que par définition, on serait plutôt des statisticiens. Ce monde-là est en train d'évoluer un peu, en tout cas chez nous. Donc, le nom devient un agent de rêve, un facteur d'imaginaire, il est chargé de participer au sens qui est conféré au produit. Aujourd'hui, pour qu'un produit marche, il faut qu'il y ait une évocation de sens qui soit immédiatement intelligible, appropriable, perceptible par le grand public. Par son nom de baptême, l'objet devient de plus en plus une personne. Quand vous lanciez un produit, il y a quelques années, c'était relativement simple. Vous aviez moins de marques, moins de concurrents, moins de choix ; aujourd'hui, on est dans ce contexte déjà évoqué de tohu-bohu médiatique, auquel répond un peu l'indifférence du consommateur. Donc pour un nom, l'important est d'être facilement mémorisable, d'avoir un impact fort. Il n'y a pas que des considérations poétiques ou philosophiques derrière. Un nom facilement mémorisable, c'est un produit qui grimpe plus facilement en notoriété, et donc ce sont d'abord des économies de lancement.

Je vous ai parlé de cette réflexion stratégique sur ce produit, pour lequel, au départ, il s'agissait de remplacer un utilitaire pour Citroën. On avait une vision purement véhicule utilitaire, l'univers des fourgonnettes légères, ce qui n'a rien de séduisant pour le grand public. Au fur et à mesure, on s'est rendu compte qu'aujourd'hui, il y avait une évolution de la représentation de l'automobile, il y avait un créneau pour des produits qui allieraient la rusticité, la praticité, le prix d'un véhicule utilitaire qui est plus bas, et le côté ludique, affectif d'une automobile. En fait, on est en train de redécouvrir des années après, comme quoi il y a un retour de l'histoire, tout cet imaginaire affectif autour de la voiture populaire 2 CV. Quand on est dans cette logique là, le nom devient important, la deuch participe d'un imaginaire social et peut-être que si elle s'était appelée autrement, elle n'aurait pas eu le même succès, donc on a fait très attention.

On a défini tout d'abord un positionnement, ambitieux, ce qu'on a appelé M49, c'était le nom de code de ce véhicule à l'origine. En fait ce qu'on voulait c'était une nouvelle espèce d'automobile, une sorte d'hybride automobile, avec des qualités très rustiques, très pratiques du véhicule utilitaire et des qualités de berline en termes de style, de confort. Ce qui fait que, en donnant ce cahier des charges, on réussit à avoir en définitive à la fois un véhicule utilitaire innovant qui déclasse un peu la concurrence, parce qu'il a des ingrédients de berline, donc pour quelqu'un qui utilise un véhicule utilitaire toute la journée, c'est valorisant,. Aujourd'hui il y a aussi l'évolution des comportements, des représentations : quelqu'un qui se sert d'un véhicule utilitaire ne veut pas forcément que ça se voit de l'extérieur, ou lui-même, souhaite un certain confort toute la journée. Donc à la fois, avoir un véhicule utilitaire innovant et un nouveau concept de véhicule. On a construit un cahier des charges affectant une triple mission à la désignation, il fallait qu'à travers le nom, se dessine cette idée de double nature Véhicule Utilitaire, Véhicule Particulier, donc de Berlingo. Il fallait aussi trouver un nom qui décale cet imaginaire Berlingo par rapport à l'imaginaire habituel des véhicules utilitaires et rappeler une dimension innovante. Nos études sur l'impact des noms ont montré que les noms en "O" ont une sonorité un peu ludique, affective, innovante. Berlingo présentait aussi l'avantage de se démarquer de son jumeau "partner" de Peugeot.

Ce qui est très amusant, on le voit dans nos études de notoriété, la presse s'est faite beaucoup plus facilement l'écho de ce nom Berlingo que d'un nom plus anonyme, plus noyé dans la masse et donc pour le moment nous avons un avantage.

Berlingo, c'était le nom générique pour ce concept-produit. La version multi-usage destinée au grand public où vous avez beaucoup d'espace intérieur, beaucoup de volume, un grand coffre, en fait le concept de ce produit, c'est un peu un concept mini-prix, maximum d'efficacité :; on a donc recherché à partir de minispace, en rappelant la dimension monospace, mais attribuée à Renault ; alors, finalement, on s'est dit que multispace donnait à la fois du sens au produit tout en ayant une connotation innovante, et c'est comme cela que l'on a appelé une version, le Berlingo multispace, qui est une version destinée au grand public et qui va être commercialisée bientôt.

Voilà l'histoire de Berlingo.

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