Exposé de M. Pierre VINARD, Inspecteur général honoraire de l'éducation, du sport et de la recherche.

Chères et chers amis,

C’est vraiment un plaisir d’être parmi vous à l’occasion de cette journée du français des affaires et du Mot d’Or qui marque les 40 ans de l’APFA et les 50 ans de la création terminologique. Je n’oublie pas en effet que j’ai eu l’honneur d’être distingué deux fois par le Mot d’Or, la dernière fois pour un modeste dictionnaire économique où nous nous étions attachés, avec mon co-auteur, à utiliser la terminologie francophone. Ma présence est aussi l’occasion de saluer mon ancien collègue et ami Jean, Marcel Lauginie, IA-IPR honoraire de l’académie d’Orléans-Tours qui œuvre depuis tant d’année pour la promotion de la terminologie francophone des affaires dans l’éducation et la formation, et cela à de multiples titres et qui m’a initié, lorsque j’étais jeune inspecteur stagiaire, à l’intérêt et à la richesse de la démarche terminologique.

Le thème de mon intervention est « l’apport de la terminologie dans la formation et l’éducation ». Je vais, si vous le voulez bien, me concentrer sur mon domaine de compétence, l’enseignement de l’économie et gestion, dans les séries technologiques et professionnelles, du CAP au BTS et au DCG, en passant par le baccalauréat. Je vais essayer de montrer en effet comment notre démarche pédagogique en économie et gestion est étroitement liée à la connaissance, la compréhension et l’usage du vocabulaire des affaires, et en particulier des mots forgés dans le cadre de la Francophonie.

Nous avons le privilège d’enseigner dans nos formations de lycée - qu’elles soient professionnelles ou technologiques - des matières qui ne sont pas dispensées en collège et que découvrent les élèves à cette occasion : l’économie, le droit, le management, les sciences de gestion. Le premier travail de l’enseignant est donc un travail sur le vocabulaire de ces disciplines dont les élèves n’ont qu’une très vague idée, quand leurs représentations ne sont pas totalement travesties par les médias ou encore les réseaux sociaux.

Les mots de l’économie et de la gestion constituent donc les briques d’une maison qu’il s’agit de construire avec les élèves. Et évidemment il n’y a pas de maisons qui tiennent si les matériaux qui la composent ne sont pas d’excellente qualité ! C’est grâce au patient travail des commissions de terminologie rattachées au Ministère des finances, travail relayé et amplifié par l’APFA, que nos enseignants ont à leur disposition un vocabulaire précis dans le domaine de nos différents champs disciplinaires, vocabulaire qui permet ensuite de développer les concepts et les mécanismes essentiels de nos enseignements. Et d’ailleurs il n’est pas d’épreuves à nos divers examens où il ne faut pas préciser ou mobiliser de nombreuses définitions !

Au-delà de la nécessité de posséder un vocabulaire précis, je crois très sincèrement que, dans cet apprentissage des mots de l’économie et la gestion, nos enseignants trouvent un véritable levier pédagogique. En effet, derrière de nombreux mots du français des affaires, il y a des pratiques d’organisation qui peuvent susciter l’intérêt des élèves, qu’on les approuve ou qu’on les réprouve, et que les élèves découvrent avec intérêt. Les exemples sont nombreux, de la jeune pousse au publipostage, de la signature d’une affiche publicitaire à l’écoblanchiment. Je voudrais m’attarder un peu sur ce dernier terme - écoblanchiment - qui doit se substituer à l’anglicisme « green washing ». Bien évidemment la référence à des pratiques particulièrement répréhensibles, liées au blanchiment de l’argent de la drogue par exemple, est évidente, permettant en cela de stigmatiser des pratiques tout aussi condamnables d’entreprises qui se parent d’un discours écologique pour faire tout autre chose ! Et nos professeurs font là aussi œuvre d’éducation à la citoyenneté. Il en est de même des termes « accroche » et « signature » qui se substituent aux termes un peu dévalorisés de « slogan » ou de « base line  » et qui sont, pour un publicitaire, beaucoup plus précis.

Cette utilisation d’une terminologie francophone aussi précise que possible ne se fait pas sans difficultés (ce n’est pas un long fleuve tranquille). D’abord parce qu’il faut vaincre le scepticisme des uns ou des autres, et parfois la raillerie. Ainsi un certain nombre de personnes se refusent à utiliser les termes francophones mues par un snobisme déplacé, à l’image des « femmes savantes » de Molière, truffant leur discours d’anglicisme dont elles ne comprennent pas toujours le sens. Ensuite parce que le travail terminologique est un travail ardu, que les évolutions de la société et des pratiques d’entreprises peuvent rendre plus complexes encore. Je ne prendrai que l’exemple du mot « mercatique ». Dans mes fonctions d’inspecteur général cela a été un combat de tous les jours pour défendre ce terme dans nos programmes et dans l’appellation de nos séries. Ainsi j’ai obtenu qu’en STMG, la spécialité correspondante (devenu enseignement spécifique) soit bien appelée « mercatique » et non « marketing ». En revanche nous avons été obligés par le ministère d’ajouter le terme marketing entre parenthèses, comme si le terme « mercatique » ne suffisait pas, et le concours de recrutement des enseignants de cette spécialité s’appelle « marketing ». Comme on le voit nul n’est prophète dans son pays !

Il est vrai que les définitions qui ont été données successivement à ce terme de mercatique ne nous ont pas toujours aidés et ont pu donner des arguments à celles et ceux qui s’opposaient à son utilisation.

Ainsi en 2001 l’Académie française donnait la définition suivante pour mercatique : « Ensemble des techniques et des actions grâce auxquelles une entreprise développe la vente de ses produits, de ses services, en adaptant sa production aux besoins du consommateur. Étude de mercatique. Doit être préféré à Marketing ». On devine l’insuffisance de cette définition, limitant la mercatique à une adaptation des entreprises aux besoins des consommateurs et considérant ces derniers comme insensibles à l’action engagée par les entreprises pour influencer leur comportement, ce qui laissait à l’écart une grande partie des pratiques de celles-ci. La définition suivante, publiée au JO du 2 mars 2010, n’était pas non plus totalement satisfaisante. La mercatique y est décrite comme « l’ensemble des techniques et des actions grâce auxquelles une entreprise développe la vente de ses produits et de ses services en adaptant, le cas échéant, leur production et leur commercialisation aux besoins du consommateur. » La fin de la définition pourrait en effet laisser penser à l’inverse que les entreprises ne s’attacheraient qu’exceptionnellement à prendre en compte les besoins des consommateurs dans la définition de leurs produits et de leur distribution, ce qui serait évidemment erroné.

Il a donc fallu attendre le JO de mars 2018 pour avoir une définition totalement satisfaisante, grâce en particulier au combat du président de l’APFA… Pour mémoire je la rappelle, il s’agit de « l’ensemble des techniques et des actions grâce auxquelles une entreprise développe méthodiquement la vente de ses produits et de ses services en adaptant son offre aux besoins et au comportement du consommateur. » L’insistance sur les besoins, mais aussi le comportement des consommateurs nous a permis de donner pleinement sa place à cette définition de la mercatique dans nos programmes et dans nos épreuves d’examen.

Voilà, j’espère en quelques mots trop rapides avoir pu vous montrer les raisons pour laquelle la discipline que je représente aujourd’hui entretient des liens étroits avec la Francophonie, et le travail de APFA que je remercie très chaleureusement. Et je vous souhaite à tous une excellente après-midi.

Pierre VINARD


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