ALLOCUTION DE STÉLIO FARANDJIS,

Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie

21 novembre 1996


Je ne vais pas être long parce que comme vous le savez, certains d'entre vous ont déjà entendu ou m'ont déjà entendu le rappeler, un de mes amis hélas décédé, Sony LABOU TANSI, grand écrivain congolais, citait un proverbe de son pays "quand tu parles, aies pitié de ceux qui t'écoutent" et comme nous avons pris du retard, car je m'associe à l'organisation de cette cérémonie, je ne voudrais donc pas être long.

Je serais donc encore plus bref que d'habitude pour vous dire ceci : la francophonie est un projet, un idéal, tout à fait récent, contrairement à ce que certains encore continuent à dire. Le mot lui-même est ancien, à peine ancien, 1880 et surtout, il n'a vraiment été utilisé qu'à partir des années 1960, donc après la fin de l'ère coloniale. C'est un mot, c'est une idée qui n'est pas du tout contemporaine de la période coloniale, c'est l'historien qui vous parle, mais qui est postérieure ; les indépendances, d'une part, les progrès des communications d'autre part, qui ont mis les enseignants, les entrepreneurs, les scientifiques, les parlementaires, les journalistes, de langue française, ensemble, alors qu'ils sont dispersés aux quatre coins de la planète, ainsi que les mouvements québécois d'émancipation et d'affirmation identitaire politique, tout cela dans les années 1960 a fait que le mot qui était en sommeil a connu une jeunesse, une réactualisation.

Aujourd'hui, que désigne-t-il ? Il désigne trois réalités différentes, autrement dit, ce mot, francophonie, est une illustration d'un phénomène que les linguistes connaissent bien, la polysémie. Trois significations.

Un, c'est l'ensemble des gens qui, à la surface du monde, qu'ils soient Russes, Américains ou autres, s'expriment en français à des degrés ou à des titres divers.

Deux, c'est la communauté internationale qui s'organise depuis que des associations de plus en plus fortes et nombreuses structurent, organisent, associent les différents acteurs de la francophonie à l'échelle mondiale et surtout depuis qu'une Agence intergouvernementale est née en 1970, pour organiser la coopération entre pays francophones, et surtout enfin depuis qu'à l'initiative du Président François MITTERRAND en 1986, a été réuni le premier sommet des chefs d'Etats et de gouvernements. On disait à l'époque ayant en commun l'usage de la langue française, on dit depuis peu ayant en partage la langue française. Une communauté, ils étaient 41 à Paris en 1986, ils étaient 49 à Cotonou, sans doute dépasseront-ils la cinquantaine à Hanoi, en décembre prochain. C'est une communauté qui pèse et qui, au moment de la grande querelle de l'exception culturelle, a marqué des points, a réussi à infléchir les choses au niveau de la scène internationale. Contrairement à ce que certains pensent, le monde, lorsque les gens veulent bien s'en donner la peine, est moins unilatéral et monolithique qu'on le pense, encore faut-il s'organiser pour faire entendre ce chœr à plusieurs voix que représente la civilisation aujourd'hui planétaire, la civilisation universelle.

Il y a une troisième signification. Pas seulement l'ensemble des gens s'exprimant en français, pas seulement la communauté internationale qui s'organise de plus en plus, mais troisième signification du mot francophonie, l'idéal, l'esprit. C'est dans cet esprit, cet idéal de diversité dans l'unité, de dialogue et de confrontation généreuse, de fraternité agissante, que Léopold Sédar SENGHOR dans un magnifique article avait, avec une prémonition fulgurante, exprimé dans la revue "Esprit" en novembre 1962 : "La francophonie, cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de toutes les races, de tous les continents, qui se réchauffent à leur chaleur complémentaireé.

Voyez-vous, si nous sommes tant attachés au français des affaires, c'est que nous pensons que les grandes langues, toutes les langues sont des grandes langues, mais que les grandes langues internationales en particulier doivent être des langues de plein statut, qu'il ne faut pas accepter de Yalta linguistique, aux uns la langue des lettres, aux autres la langue de l'économie et puis aussi de la science et de la technique, de la chanson ; il faut que les langues internationales soient des langues qui puissent exprimer et illustrer tous les aspects de la vie d'aujourd'hui, culture et économie sont au demeurant de plus en plus liées.

Nous sommes dans une économie planétaire, je vous le disais tout à l'heure, qui est une économie de plus en plus fondée sur les biens immatériels, sur des valeurs culturelles transmises par l'information, la communication où toutes les technologies se combinent pour que les richesses de la création artistique, de la création littéraire, la recherche scientifique puissent êtres vendues sur le marché mondial, autrement dit culture et économie sont de plus en plus reliées, voilà pourquoi de tout mon cœur, non seulement je salue l'infatigable Jean Marcel LAUGINIE mais aussi, je tiens à féliciter ces lauréats parce que non seulement ils viennent des pays francophones mais aussi des pays hors communautés francophones. Je tiens à saluer leur jeunesse. Je tiens à saluer aussi le nombre de jeunes femmes, représentées, cher Jean Marcel LAUGINIE, fort avantageusement dans votre assemblée. Je tiens aussi m'adressant à tous ces lauréats, à leur dire que, s'ils ont mérité non seulement des félicitations et des encouragements, ils ont mérité en plus le titre d'éclaireurs de la civilisation qui est en train de se construire, qui ne peut être que plurielle, universelle et fraternelle.

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