DIX ANS DE TERMINOLOGIE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

Jacques CAMPET

Président de la Commission spécialisée de terminologie et de néologie en matière économique et financière du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, membre de la Commission générale de terminologie et de néologie, Conseiller Maître à la Cour des Comptes


Je dois vous parler de 10 ans de terminologie économique et financière, on devrait d'abord parler de 25 ans puisque la première commission remonte à 1972 et le premier arrêté à 1973, on pourrait dire aussi, 20 ans, puisque 1973 c'est le premier arrêté, 1995 c'est le septième et dernier, il n'y a pas de huitième projet d'arrêté ou de neuvième projet d'arrêté en discussion actuellement, ce ne sont plus que des listes et on verra tout à l'heure pourquoi.

Il ne faut pas oublier, je crois, l'arrêté de 1973 qui est le premier, qui est l'ancêtre de la terminologie économique et financière. Une époque où Pierre DEHAYE était président de la commission, il y avait des personnalités comme François PERROUX, comme Jean FOURASTIÉ, et qui n'ont fait qu'un seul arrêté, mais il faut reconnaître que tous les termes de cet arrêté-là sont pratiquement dans l'usage comme jardinerie pour "garden center", la MBA pour le "cash-flow", publipostage pour "mailing", où le termaillage pour "leads and lags".

La deuxième commission, que j'ai présidée depuis 1985, a créé quelque 300 termes nouveaux à travers 6 arrêtés, de 1987 à 1995, des arrêtés qui étaient co-signés par le Ministre de l'Économie et des Finances et par le Ministre de l'Éducation Nationale selon la procédure en vigueur à l'époque. À cette période d'assez intense activité, je voudrais vous associer, Monsieur Jean Marcel Lauginie, parce que vous avez participé à toutes ces séances, d'abord comme représentant du Ministre de l'Éducation Nationale, puis comme personnalité désignée par le Ministre de l'Économie et des Finances, et enfin comme co-président du groupe de travail le plus performant de la commission, c'est-à-dire le groupe du commerce et des techniques commerciales, étant donné l'envahissement dans cette branche-là de termes anglo-saxons. C'est un travail très important que vous avez fait avant de défendre ces termes-là devant la commission.

Pour accomplir cette mission, il faut de l'enthousiasme, vous vouliez même que j'intitule cette rubrique "10 ans de passion", après tout pourquoi pas, je crois qu'il faut de l'enthousiasme et de la passion, il faut aussi de la sagesse et de la rigueur, il faut surtout l'écoute attentive des milieux professionnels concernés, parce que c'est par eux que ces difficultés remontent et que c'est grâce à eux ensuite qu'elles sont vaincues.

Je crois qu'il ne faut pas se laisser aller à la facilité en voulant se faire plaisir avec un petit jeu de mots. Il ne faut pas non plus négliger l'apport imagé que donne à un nouveau concept la langue anglaise. C'est ainsi qu'il ne faudrait pas affadir le "cocooning" ou le "burrowing", en les traduisant par des termes scientifiques savants. Ce sont des termes de la psychologie que les gens du commerce, de la production et de la distribution utilisent pour bien savoir quel est le consommateur et quelle est la cible, et je crois qu'il faut continuer à travailler dans ce sens, sinon, on parlera dans les écoles de commerce de "cocooning" ou de "burrowing" si l'on recherche des mots qui ne sont pas en rapport avec ces contextes.

De même, l'apparition dans le domaine bancaire d'une nouvelle technique institutionnalisée, technique qui consiste à transférer dans une entité distincte les actifs d'une société généralement compromis, ne doit pas s'appeler "cantonnement, désendettement ou dégraissage de bilan" parce que c'est quelque chose de nouveau, il faut l'appeler par le terme français de défaisance que nous avons forgé et qui j'espère va s'implanter. L'Association Française des Banques l'a déjà popularisé ; c'est un juste retour des choses puisque le mot "defeasance" vient lui-même, comme le Harrap's le dit, du mot français, participe présent, défaisant, de défaire et que c'est par conséquent un mot qui nous revient et qu'il serait tout à fait anormal d'employer avec l'accent anglais. Ce n'est donc pas la peine de chercher des mots savants qui ne correspondent plus au concept ou qui ne sont plus adaptés comme "cantonnement", mais prendre défaisance. Voilà si vous voulez une des satisfactions que nous pourrions avoir, satisfaction d'autant plus grande que si vous ouvrez le Littré ou le Robert, vous trouvez le faisant, le défaiseur, la faisance et vous ne trouvez pas de défaisance, c'est le seul mot qu'il manquait et que les Anglais nous renvoient.

Donc j'espère qu'il sera publié au Journal Officiel parce qu'en réalité c'est par l'officialisation que ces mots-là ont le plus de chance de passer, parce qu'ils deviennent obligatoires pour l'administration et les organismes sous tutelle mais cela va bien plus loin, ainsi, dans les banques, si le mot est obligatoire pour la Banque de France ou le Crédit Lyonnais, vous pensez bien que l'agence locale ne va pas employer un terme différent, donc il s'agit bien de veiller à ce que le plus grand nombre possible de termes soit officialisé et publié au Journal Officiel. Mais pour cela, il faut effectivement une rapidité de réaction, une rapidité de création et une rapidité de publication. Ce fut le cas pour la décennie 1984-1995, qui correspond à l'histoire de la deuxième commission, c'est sans doute cela que vous avez voulu me faire traiter dans cette brève communication, car dans le cas de cette procédure, la grande majorité des 300 mots nouveaux qui ont été publiés au Journal Officiel sont aussi entrés dans l'usage.

Voilà ce que je voulais vous dire pour la traduction et l'implantation de ces mots dans la langue. Vous savez que dans le cadre de la loi sur le français, c'est un décret du 3 juillet 1996 qui a institué une nouvelle procédure avec non plus des commissions ministérielles mais des commissions spécialisées, qui sont coiffées par une commission générale de terminologie et néologie, ce qui est tout à fait bon et avec un avis de l'Académie Française qu'il est maintenant quasiment obligatoire de suivre. Je dois dire que cela ne me gêne pas, si on continue à collaborer avec l'Académie comme dans le passé, la commission des finances, a toujours respecté les avis de l'Académie Française. Le projet de huitième arrêté deviendra la première liste de la nouvelle procédure ; comprenant une centaine de mots, elle sera examinée dans les prochaines séances de la commission générale ; elle a été testée, comme nous le faisons toujours, au cours d'un déjeuner-débat, par des journalistes économiques et financiers.

Je ne dirai jamais assez que les définitions et les notes qui concernent la terminologie économique et financière sont essentielles. Un tableau d'équivalence où on met un correspondant français par rapport à l'anglais ne servirait à rien s'il n'est pas assorti d'une définition précise qui permette d'emporter l'adhésion de celui qui va l'utiliser.

Voilà, je crois que c'est ainsi que la nouvelle procédure pourra bien fonctionner.

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