LES SOCIÉTÉS "PARAPLUIES" OU L'INVESTISSEMENT EN CHINE

Philippe NASZÁLYI

Maître de conférences associé à l'Université d'Évry-Val d'Essonne


C'est lors du troisième plénum du XIe Comité central du parti communiste chinois (PCC), en décembre 1978, que la Chine amorce un virage décisif, en décidant de passer d'une économie planifiée à une économie de marché. Les résultats macro-économiques du pays, durant la période qui a suivi, sont impressionnants. Le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 10% par an en termes réels dans les années 80, étant ramené à 4% entre 1989 et 1990, sous l'effet de l'application des mesures anti-inflationnistes. La Chine, depuis le début des années 90, a retrouvé un rythme de croissance soutenu, et enregistré depuis 1992 des taux à deux chiffres. Vingt ans de réforme et d'ouverture ont fait de la Chine le pivot du dynamisme économique de l'Est asiatique. De par la taille même du pays et son ouverture sur l'extérieur, la réforme et la croissance de son économie ont de lourdes conséquences, tant pour les économies voisines de l'Asie en crise que pour les pays occidentaux.

Au cours de la décennie précédente, la Chine a mis en œuvre des réformes économiques qui l'ont éloignée, de manière progressive mais désormais irréversible, du modèle de développement qu'elle avait emprunté à l'Union soviétique, à partir de la victoire de Mao, en 1949.

Toujours associée à l'impératif de modernisation, la volonté de réforme est un phénomène récurrent en Chine depuis la fin du XIXe siècle. La faiblesse militaire et économique de l'empire avait alors ruiné ses prétentions à une quelconque supériorité culturelle, qui avait pourtant été le fondement du développement de sa civilisation pendant des siècles. Le dilemme des réformateurs chinois a peu varié depuis cette époque, sinon dans sa formulation, du moins dans son contenu : comment combiner le principe chinois (ti) et les applications qui sont la science et les techniques de l'Occident (yong) ?

Toutes les tentatives de réforme ont obéi à cette logique depuis lors. "Nous voulons être modernes et soviétiques" déclarait le Premier ministre Zhou Enlai au début des années 50. Durant les trois décennies suivantes, les "luttes de lignes" ont tourné, même en la distordant, autour de la question de la modernisation et du développement de la Chine. Mais la constante interférence du politique dans le domaine de l'économie a anéanti ces efforts.

Après la disparition de Mao, l'échec de ces tentatives est bien résumé par le constat sans ambages de Deng Xiaoping : "Le socialisme, ce n'est pas la pauvreté." C'est en mettant en cause le système plus que les hommes ou telle ligne politique qu'un accord général se dégage à la fin des années 70, sur les réformes et les remèdes à adopter.

participants

Dans l'examen des politiques d'ouverture du marché appliquées par la Chine, on s'intéresse en général surtout aux zones économiques spéciales (ZES) et aux zones de développement économique et technique (ZDET) des régions côtières. En premier lieu, les zones économiques spéciales, notamment celle de Shenzhen, ont eu pour rôle initial de servir d'infrastructure de production à l'exportation, en mettant à profit les compétences techniques et le savoir-faire en matière de gestion apportés par les entreprises étrangères effectuant des investissements directs. Les activités industrielles de la zone expérimentale de Beijing reposent bien au contraire, et de toute évidence, sur les compétences des chercheurs et ingénieurs chinois les plus brillants, ce qui augure de façon très prometteuse des possibilités de développement technologique dans cette zone.

Il faut noter également que, dans les technopoles créées par l'État, les entreprises chinoises peuvent aussi bénéficier d'un régime fiscal de faveur, alors que dans les ZDET et dans les ZES, seules les entreprises étrangères en sont les bénéficiaires. Jusqu'à trente sites ont été retenus pour la création des zones expérimentales. La plupart d'entre eux se trouvent dans des grandes villes (non seulement à Beijing, Shanghai et Dalian, mais également à Shenyan, Hangshou, Hefei, Xi'an, pour n'en citer que quelques unes).

Il s'est maintenant écoulé plus de dix ans depuis le début de la mise en œuvre des réformes économiques et le lancement des politiques d'ouverture du marché, années au cours desquelles les régions côtières se sont développées. Il incombe aujourd'hui aux grandes villes de l'intérieur de la Chine d'adopter leurs propres politiques de développement régional.

I - Les principales manières d'investir en Chine

Hormis les bureaux de représentation et les nouvelles structures apparues plus récemment (sociétés à "parapluies", sociétés à responsabilité limitée et succursales), les formes utilisées le plus fréquemment pour l'exploitation d'une entreprise avec investissement étranger en Chine sont :

— La société à capitaux mixtes sino-étrangers (equity joint venture, EJV)
— La société mixte à gestion conjointe (coopérative joint venture, CJV)
— L'entreprise à capital entièrement étranger (wholly foreign owned enterprise, WFOE)

1. Sociétés à capitaux mixtes sino-étrangers

Elles sont régies par une série de lois et par une multitude de règlements d'application. Cette petite fable nord-américaine peut illustrer la volonté des étrangers de s'associer aux Chinois :

"Une poule chinoise rencontre un jour un cochon américain. Ils sympathisent et décident de s'associer :
— Si nous faisions une joint venture ? demande la poule.
— Fort bien, mais que pourrions-nous faire ?
— Eh bien, nous pourrions faire des omelettes au jambon !"


Par de nombreux aspects, et sans entrer dans le détail, ces sociétés s'apparentent à une société à responsabilité limitée : les documents doivent être établis en chinois et, si les parties le souhaitent, dans une langue étrangère.

La création d'une telle société représente avant tout :

— Le défi de faire cohabiter une logique capitaliste et un système socialiste ;
— Le défi de faire profiter les pays capitalistes d'un marché potentiel ;
— Le défi de réaliser un mariage entre les méthodes de gestion occidentales et les stratégies chinoises.

Du côté chinois, les objectifs pour créer des coentreprises sont :

— Adoption de techniques et d'équipements avancés ainsi que des méthodes de gestion scientifiques permettant d'augmenter la variété des produits, d'améliorer qualité et rendement, d'économiser énergie et matières premières.
— Rénovation des entreprises permettant des profits supérieurs et une rotation du capital plus rapide avec moins d'investissement.
— Promotion des exportations et gains en devises.
— Formation du personnel technique et de gestion.

2. Sociétés mixtes à gestion conjointe (coopérative joint venture)

La confusion est largement répandue et entretenue en Chine entre ces deux formes d'investissements, faisant naître initialement des obligations et des risques pourtant bien distincts, en utilisant improprement le terme général de "coentreprise" pour les qualifier l'une de l'autre.

Ces sociétés, dont la législation est beaucoup plus tardive et simplifiée, devaient répondre aux situations particulières que constituent l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles. Les investissements étrangers aboutissent à la constitution d'un capital immobilier dont la propriété doit, au final, revenir à la partie chinoise. De là, se pose le problème du retour du capital investi par l'étranger.

Aujourd'hui, les autorités chinoises ont décidé de favoriser la création de ces sociétés pour le développement de tous les grands projets d'infrasctructure (centrales électriques, construction de routes et d'autoroutes, réseau ferré). Le principe est d'assurer le remboursement et la rémunération de l'investissement étranger, respectivement sur la vente de l'électricité produite, les péages, le prix de vente du transport par train, sur un nombre indéterminé d'années d'exploitation de l'installation, qui devient propriété chinoise le jour de sa mise en service. Les entreprises étrangères sont partie prenante mais attendent que des dispositions puissent apporter des garanties suffisantes pour le remboursement des prêts, la couverture des risques et la rémunération de l'investissement, dans des secteurs encore très dépendants de l'économie planifiée et où l'élasticité des prix est faible.

3. ntreprises à capital entièrement étranger (wholly foreign owned enterprises, WFOE)

Dans cette forme, une personne morale de droit chinois est créée par un ou plusieurs investisseurs étrangers. Ces sociétés sont interdites dans plusieurs domaines, en particulier : télévision, radio, médias, presse, assurance, poste et télécommunications.

Elles sont également strictement contrôlées dans le secteur des services publics, des transports, de l'immobilier, des conglomérats, de l'investissement et du crédit-bail. Pour être approuvées, l'on doit :

— Mettre en œuvre des technologies et équipements de pointe ;
— Développer de nouveaux produits ou améliorer des produits déjà existants ;
— Exporter plus de la moitié de sa production, permettant un équilibre ou un surplus en devises.

En tant que société étrangère, elle est libre de choisir l'organisation et les structures internes de gestion de l'entreprise qui lui sont appropriées.

En tant que société établie en Chine, elle est soumise, commes les précédentes, aux lois et réglementations chinoises dans toutes ses opérations (emploi du personnel, approvisionnements, comptabilité, taxation, etc.). De ce fait, il serait illusoire d'imaginer pouvoir être libre chez soi, en optant pour cette forme de société. La présence des Chinois à des postes clés de l'entreprise sera nécessaire à sa viabilité, et d'ailleurs, à peu près indispensable pour obtenir l'approbation du projet.

4. Bureaux de représentation

Les bureaux de représentation en Chine sont limités à des activités non commerciales pour le compte des sociétés qu'ils représentent, à savoir la collecte d'informations, la liaison avec les autorités chinoises et les entreprises locales, la coordination des visites et d'échange de personnel pour le siège, etc. L'établissement d'un bureau de représentation nécessite l'autorisation de la Commission de Commercé et des Relations Economiques avec l'étranger au niveau local, ainsi que l'enregistrement auprès du bureau local de la SAIC (State Administration for Industry and Commerce).

Un bureau de représentation peut embaucher du personnel chinois auprès des sociétés de services aux étrangers désignées par le gouvernement local, louer des locaux, importer des biens et équipements pour les besoins du bureau, obtenir une ligne de téléphone, télex, télécopie, etc., ouvrir un compte en banque au nom du bureau, obtenir des visas de résidence et autres permis pour les employés expatriés, et faire état de la présence du siège en Chine au travers de son bureau de représentation.

En principe, tant que le bureau se livre à des activités non commerciales au nom de sa société mère ou de sociétés affiliées, il n'est pas passible de l'impôt en Chine. Cependant, dans certains cas, la réglementation chinoise soumet à l'impôt les revenus du bureau provenant d'activités de représentation pour des sociétés autres que le siège étranger, ou encore pour toute rémunération perçue pour des services rendus à des tiers.

5. Les nouvelles structures d'investissement - Sociétés holding dites "parapluies"

Le vide juridique ambiant a poussé certaines entreprises multinationales, comme Coca-Cola ou IBM, à innover et à créer, depuis fin 1992, d'autres structures d'investissements en Chine avant l'apparition de lois adaptées.

Les sociétés "holding", appelées sociétés "parapluies", sont perçues comme le moyen de consolider les opérations, le management et les finances de plusieurs sociétés exploitées en Chine. Les Chinois préfèrent le terme société "parapluie" car celui de "holding" a pour eux une connotation d'entreprise non productrice, tournée vers la spéculation. À ce jour, les "holding" sont assez peu nombreuses en Chine. Selon le ministère du Commerce extérieur (MOFTEC), il en existerait moins d'une centaine, en raison d'une certaine méfiance des autorités face à cette nouvelle structure.

En effet, la politique chinoise est d'accorder une autorisation d'exploitation à une société en coentreprise pour un objet particulier et limitatif. Cela est contraire à l'idée même d'une "holding" qui, par définition, a des intérêts multiples et apparaît de ce fait, pour les autorités chinoises, comme plus difficile à contrôler.

Bien que peu nombreuses, les sociétés à parapluies à la chinoise ont des usages très variés. L'investisseur étranger peut les utiliser comme société mère d'un groupe de sociétés mixtes, afin de consolider les profits et pertes ou encore équilibrer les entrées et sorties de yuans et de devises au sein du groupe. Une société à parapluies peut aussi servir à centraliser les acquisitions et ventes d'équipements ou de services pour les sociétés du groupe. Enfin, un bureau de représentation, obligatoirement limité à des activités non commerciales, peut devenir un bureau avec une activité plus large par ce biais.

Dans la logique de leur politique, les dirigeants chinois ont depuis toujours favorisé les coentreprises productrices et rejeté les entreprises étrangères de services. Certains dirigeants redoutent en effet que l'octroi de licences à des sociétés étrangères n'équivaille à perdre tout contrôle sur les sociétés. Par conséquent, alors que les sociétés à parapluies peuvent vendre les biens qu'elles-mêmes ont produit, il leur est, à l'heure actuelle, interdit de vendre les produits de leurs filiales.

Le MOFTEC, qui a seul compétence pour approuver la création d'une telle société, a élaboré des règles internes, non publiées, définissant leur champ d'activités. D'après le CFCE (Centre français de commerce extérieur), on peut relever un certain nombre de règles qui leur sont applicables :

— Les sociétés à parapluies sont autorisées sous forme de "coentreprise" à capital totalement étranger, ou de société à responsabilité limitée ;
— L'établissement d'une société à parapluies n'est possible que si le demandeur a au moins deux filiales déjà établies ou en formation ;
— Un capital minimum de dix millions de dollars est nécessaire, dont le quart en devises fortes. Le capital peut être utilisé pour investir dans cette société, dans ses filiales ou des sociétés tierces ;
— Elles doivent financer seules leurs besoins en devises, et les équilibrer ;
— Elles devront avoir une durée déterminée.

6. Société par actions

La société par actions de droit chinois est établie par un minimum de cinq fondateurs, dont plus de la moitié doivent être résidents en Chine. Les actions des fondateurs sont incessibles pendant trois ans.

La constitution d'une société par actions doit être autorisée par le Conseil des Affaires d'État ou par le gouvernement provincial du lieu du siège de la société. Le capital minimum d'une société par actions est de dix millions de yuans.

II Après cette rapide présentation des différentes structures d'investissement étranger en Chine, on peut brièvement apporter ici quelques exemples de stratégies commerciales

En Chine, tout ou presque commence par une fable ou un récit :

"Un mandarin, sur le point de rejoindre son premier poste officiel, reçut la visite d'un très bon ami qui venait lui dire au revoir. Sois patient surtout, lui recommanda son ami, et tu ne rencontreras aucune difficulté dans les fonctions.

Le mandarin dit qu'il s'en souviendrait. Son ami lui répéta la même recommandation à trois reprises et, à chaque fois, le futur magistrat promit de suivre son conseil. Mais quand le même avis fut renouvelé une quatrième fois, il éclata :

— Tu me prends donc pour un imbécile ? Voilà quatre fois que tu me répètes la même chose.

— Tu vois que ce n'est pas facile d'être patient, je n'ai répété mon conseil que deux fois plus qu'il ne convient et te voilà déjà en colère, soupira l'ami."
(Récits de Xue Tao Xiao par Yingke - XVe siècle)

Le gigantesque marché chinois représente incontestablement des opportunités, mais aussi des risques pour les investisseurs étrangers.

Prenons le cas de l'automobile, "une entreprise automobile ne peut avoir d'ambition mondiale sans une présence en Chine", déclarent les dirigeants de l'usine Peugeot de Canton, créée en 1985 en partenariat avec la municipalité de la ville qui est majoritaire, à la suite d'American Motors et Volkswagen.

À la fin des années 70, le gouvernement chinois, pour favoriser l'essor de l'industrie nationale, décida que les investissements étrangers dans les voitures particulières seraient gelés. Les constructeurs déjà implantés doivent donc respecter un taux d'intégration minimum, c'est-à-dire assembler des véhicules à partir de pièces produites en Chine même. L'usine Peugeot de Canton, par exemple, est parvenue à une intégration de 45% à 70%, selon les modèles. Bien que l'on trouve beaucoup de pièces sur place, Peugeot souhaite faire venir progressivement ses fournisseurs et sous-traitants français et européens.

Dispersée sur 4.000 sites, et trop souvent obsolète, l'industrie chinoise des composants automobiles n'est en effet pas en mesure d'assurer les besoins croissants, en quantité comme en qualité, des constructeurs. Le rapprochement avec des équipementiers étrangers est donc fortement favorisé par les autorités chinoises, qui veulent restructurer ce secteur. Depuis 1993, les accords se multiplient, mais la concurrence est rude. Allemands, Italiens, Américains et Japonais se disputent les parts de marché... et les partenaires locaux.

Seuls cinquante mille Chinois possèdent une voiture individuelle, et l'on ne compte que six véhicules (de toute espèce) pour mille habitants. Il y a peu, l'achat d'une voiture par un particulier était pratiquement interdit. Aujourd'hui encore, ce sont les administrations qui achètent l'essentiel des véhicules. Mais le gouvernement encourage désormais l'accession à la voiture individuelle. Grâce à la croissance du revenu des ménages, qui a décuplé depuis le début des années 80, la taille du marché automobile chinois pourrait bientôt atteindre celui de la France. Afin de satisfaire la demande, la production de voitures particulières devrait tripler d'ici deux ans.

Les revenus individuels ont beaucoup augmenté, de 20% par an, cependant, ils restent encore trop faibles par rapport au prix d'acquisition d'une voiture. La Volkswagen Santana est vendue 180.000 yuans (120.000 francs), soit quinze ans de salaire moyen.

Bien que les centres urbains connaissent déjà des embouteillages, les automobilistes chinois ne peuvent pas aller bien loin. Si toutes les autoroutes existant actuellement en Chine étaient mises bout à bout, elles ne couvriraient même pas la distance de New York à Chicago... De plus, le manque de formation des conducteurs, l'état de,la voirie, l'insuffisance de la signalisation routière, le comportement des cyclistes contribuent à un taux élevé d'accidents de la route.

Enfin, combien de temps les autorités chinoises accueilleront-elles favorablement les investisseurs étrangers, dans un secteur aussi sensible que l'industrie automobile ?

Pour l'américain Don St Pierre, qui a négocié l'implantation du premier constructeur occidental, American Motors, "la question qu'il faut se poser, c'est pendant combien de temps auront-ils encore besoin de nous ? Quand nous diront-ils : "merci, maintenant rentrez chez vous." ?

II y a beaucoup d'autres sociétés étrangères qui ont réussi, par différents moyens, à approcher le marché chinois. Pour donner une idée de la diversité des domaines de ces sociétés, citons en quelques unes :

SAFT, filiale du groupe CGE, a ouvert en Chine en 1988, une unité de fabrication d'accumulateurs nickel-cadmium (des piles rechargeables). L'objectif pour SAFT est de compléter sa présence sur la zone pacifique. Le groupe a déjà conclu un accord de partenariat avec Japon Storage Batteries en 1985, et possède une filiale à Singapour. Aujourd'hui, 40% du marché mondial des accumulateurs nickel-cadmium sont réalisés sur l'Extrême Orient, avec un taux de croissance supérieur à 20%.

Motorola, avec un investissement de 120 millions de dollars, s'implante dans la zone de développement économique et technologique de Tianjin pour produire principalement des semi-conducteurs, des téléphones portatifs et des logiciels.

Suzuki, qui produit déjà depuis 1984 des mini-fourgons Carry sous licence, a négocié dès 1990 avec China Machine Building Plant la constitution d'une coentreprise pour la production de mini-voitures Alto à Chongging, dans la province de Sichuan. La production a débuté en 1991 avec 1.000 unités. L'objectif est de produire 100.000 unités en 2000. Suzuki Alto est la voiture la plus petite et la moins chère du marché, elle concurrence directement la Charade Daihatsu.

Nissan a constitué depuis 1993 une coentreprise avec Zhenghzou Light Track Factory pour la production de fourgons. L'objectif de production est d'atteindre près de 50.000 unités par an.

Pour conclure cette partie, il faut rappeler que les investissements effectués par des entreprises françaises ne représentent qu'un petit pourcentage des investissements étrangers. Il semble que les entreprises françaises s'intéressant en Chine à une affaire isolée, avec souci de rentabilité unitaire, avaient reculé devant les problèmes de prix de revient dus en particulier aux coûts des matières premières et à celui de la qualité. En revanche, celles qui ont pris la décision d'investir sont celles qui considèrent une telle implantation à la fois comme un outil de pénétration du marche chinois ou de stabilisation sur le marché, et comme une base indispensable à leur développement en Asie.

III - Pour terminer cette présentation cursive, nous allons essayer de relever quelques obstacles aux investissements et aux échanges

II existe un grand nombre de problèmes, très variés, rencontrés par les investisseurs étrangers au cours de leurs opérations en Chine. Nous nous limiterons aux plus importants :

Problèmes d'autorité

La décision est traditionnellement collégiale en Chine. L'accord, obtenu sur les bases de la discussion et des compromis, constitue la règle. Il ne faut pas s'attendre à ce que les Chinois rompent avec cette tradition, surtout au profit "des diables étrangers", pour les activités exercées en territoire souverainememnt chinois ! Quel que soit le pourcentage de participation de la partie étrangère au capital de l'entreprise, l'étranger ne peut prétendre imposer sa volonté, il doit habilement convaincre en sachant parler au nom des intérêts concrets de l'entreprise commune.

Habitudes de travail et mentalité

Le fait que certains postes cibles soient occupés par des étrangers est une condition nécessaire, mais pas suffisante. En tout état de cause, leur nombre sera toujours limité pour des raisons financières (le coût d'un expatrié équivaut environ à la masse salariale de 350 employés chinois).

On ne réforme pas du jour au lendemain les habitudes de travail et les mentalités, d'autant qu'il est difficile de jouer sur les motivations classiques telles que profil de carrière et avantages financiers. La majorité du personnel chinois réagit avec une répulsion naturelle vis-à-vis de la prise de responsabilité. Il faut dire que jusqu'ici en Chine, la capacité à innover a rarement été récompensée ; au contraire, l'avancement dépend généralement de l'habileté à éviter les ennuis. Quant à la motivation pécuniaire, elle compense difficilement la tension créée par les exigences des étrangers.

Ponctualité, rigueur, rendement et qualité sont autant de points faibles sur lesquels on ne peut attendre qu'une amélioration progressive.

Le problème de la qualité

Les problèmes de qualité sont certainement les plus cruciaux et les plus difficiles à résoudre, car ils ne dépendent pas de la seule amélioration des habitudes de travail du personnel de l'entreprise cogérée. Plus une entreprise dépendra de sous-traitants chinois, moins il lui sera facile d'obtenir une garantie de qualité. D'où la tendance des coentreprises à devenir des entreprises intégrées à la façon traditionnelle chinoise. Une autre solution, dans la mesure où l'activité et l'envergure de ces sociétés le permettent, est d'essayer d'entraîner d'autres entreprises étrangères fabriquant des sous-produits ou composants divers à créer des coentreprises en Chine, comme cela'a été notamment pratiqué dans l'industrie automobile.

Par ailleurs, il faut lever un malentendu en ce qui concerne l'exigence de qualité pour les produits mis en vente sur le marché chinois. Les Chinois attendent, de la présence étrangère, une élévation sensible du niveau de la qualité, mais sont parfaitement conscients de l'écart à combler et des obstacles dus à l'irrégularité de la qualité des approvisionnements. Ils exigent officiellement le niveau étranger et placent la barre haut, en sachant qu'ils ne pourront l'obtenir régulièrement que lorsque "l'esprit qualité" sera suffisamment répandu pour vraiment gagner les divers secteurs de l'industrie chinoise. Exiger beaucoup est donc pour les clients chinois la garantie d'obtenir mieux, c'est-à-dire une qualité intermédiaire entre le niveau actuel et la cible d'avenir.

La motivation du personnel chinois

La rémunération, qui a longtemps constitué la motivation majeure, est devenue de moins en moins suffisante pour motiver le personnel chinois aujourd'hui. Le rythme de travail, beaucoup plus soutenu que dans une entreprise chinoise classique, et la présence étrangère sont souvent ressentis comme une agression quotidienne trop pesante pour rendre les suppléments de salaires attrayants.

À cela un faisceau de raisons : plus de travail (souvent 6 à 7 heures obtenues dans les entreprises étrangères, contre 4 à 5 heures effectives dans les entreprises chinoises, sur les 8 heures réglementaires), dans des conditions plus rigoureuses (absentéisme peu contrôlé et exigence de productivité faible dans les entreprises chinoises), mais surtout dans une atmosphère de tension psychologique intense, que génèrent la différence culturelle et les incompréhensions qui y sont liées.

Pour les catégories intermédiaires, l'octroi de responsabilités et la confiance renouvelée peuvent compenser en partie les exigences et la pression exercée par l'étranger.

Dans ce contexte, il est nécessaire de prendre en considération l'élément culturel et social expliquant souvent les difficultés relationnelles. En Chine, on convainc sans se lasser de répéter, mais on n'impose pas par la méthode coup de poing. Par ailleurs, le passage de l'univers très sécurisant que constituait l'entreprise traditionnelle chinoise, lieu de vie autant familial et social que professionnel, à celui de l'entreprise axée sur les performances individuelles et sur la productivité crée des perturbations importantes de toute l'organisation sociale chinoise et, par là, atteint profondément le psychisme des individus.

Créer des conditions propres à susciter le sentiment d'appartenance à une "bonne" entreprise, sans lequel l'inertie chinoise viendra à bout de vos mille stratégies, passe par la satisfaction de besoins de convivialité, d'harmonie et l'octroi de petits privilèges spécifiques.

Capitalisme et protectionnisme

Si la Chine semble avoir fait sien le principe capitaliste de recherche du profit, la libre-concurrence n'est pas à l'ordre du jour. Le gouvernement, face aux problèmes sociaux grandissants, a pour priorité de protéger les entreprises locales. Alors que les coentreprises et les sociétés étrangères fixent des prix déterminés par les conditions du marché, les entreprises d'État peuvent vendre à perte. L'État contrôle partiellement le flux des marchandises et certains marchés sont réservés aux entreprises d'État (mesures sectorielles et monopole).

Transfert ou pillage de technologie

C'est le problème le plus important pour l'avenir de l'investissement en Chine. Les partenaires chinois ont tendance à se servir de la technologie, acquise grâce aux coentreprises, dans des affaires parallèles. Ainsi la Shanghai Détergent Factory, après deux ans de partenariat avec Unilever, a lancé une copie d'Omo. De même, la SAIC (Shanghai Automative Industry Corporation) a signé en 1996 un accord avec General Motors, à la barbe de VAG du groupe Voklswagen, son partenaire, producteur de la Santana.

M. Antoine Riboud, ancien président directeur général de Danone, voit quatre obstacles au sujet des investissements en Chine ("Chine : le grand réveil", Nouveaux Mondes, n° 2, été 1994, éd. Cres, p. 132) :

1. D'abord une question de mentalité; les Chinois, méfiants, n'accordent leur amitié qu'à bon escient, c'est-à-dire après une approche minutieuse, répétée et longue. L'essentiel repose sur ces relations personnelles, et les Chinois veulent d'abord voir leurs interlocuteurs à l'œuvre pour les juger sous tous les aspects de leur personnalité.

2 Deuxièmement, les relations avec la Chine moderne supposent toujours un apport de notre part : transfert de technologie, bien sûr, mais pas seulement. Souvent échaudés dans leurs relations avec l'extérieur, ils entendent qu'on leur apporte quelque chose et qu'on développe ce quelque chose avec eux. Un objet, un plan ne suffit pas ; ils attendent le dernier mot de la technique, et ils sont prêts à en poursuivre le développement avec leur interlocuteur.

3. Il y a, troisièmement, les problèmes de forme. Les Chinois ont vécu longtemps et vivront encore quelque temps en économie planifiée. Certes, il y a une volonté de décentralisation de la part du gouvernement chinois, mais les formes administratives demeurent extrêmement compliquées. Parce que les entreprises appartiennent à des corporations, relèvent de villes ou de villages ou cantons, et doivent appliquer un formalisme très rebutant, par lequel il est absolument inévitable de passer.

4. Enfin, le problème du temps. La culture chinoise fait abstraction de ce facteur : le temps importe peu. Les Chinois ne sont pas pressés. Ils attendent le moment qui leur paraît opportun, et il faut supporter ces délais, car cela n'est pas près de changer. Dans nos relations avec eux, il ne faut pas s'impatienter !

Que dire enfin pour conclure ?

Au cours des premières décennies du prochain millénaire, la Chine pourrait retrouver son rang de première économie mondiale du point de vue de la population et du PIB. La Chine a occupé cette place pendant neuf siècles sur les dix derniers.

Le siècle qui vient de s'écouler est l'exception et non la règle.

Pour évaluer le potentiel futur de la Chine, deux approches complémentaires existent :

1. la perspective historique, qui permet de bien comprendre les changements institutionnels fondamentaux des cinquante dernières années,

2. une analyse quantitative comparative du classement de la Chine par rapport aux autres nations et de ses interactions avec le reste de l'économie mondiale sur le plan de la technologie, des échanges, de l'investissement et de la situation géopolitique.

C'est bien dans les années 1890 que la Chine a perdu, au profit des États-Unis son rang de première économie mondiale, à cause de la faiblesse et de l'incompétence de ses gouvernants, mais également d'agressions extérieures. L'avènement du régime communiste, en restaurant un contrôle centralisé qui a permis d'accroître l'investissement et de valoriser le capital humain, s'est traduit par une plus forte croissance. Le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle ont nui à cette évolution, mais depuis 1978 les réformes ont abouti à des progrès économiques remarquables, sur le plan intérieur et international.

participants

Mais en cette fin de siècle, la Chine reste relativement pauvre. En 1995, son revenu par habitant n'atteignait que 11% de celui des États-Unis, 13% de celui du Japon, 20% de celui de Taipei chinois (Taïwan) et 22% de celui de la Corée. Les pays qui se trouvent dans cette situation de retard technologique comparatif ont un potentiel de forte croissance s'ils mobilisent et répartissent efficacement le capital matériel et humain, adaptent la technologie étrangère à leurs facteurs de production et exploitent les possibilités de spécialisation découlant de l'intégration à l'économie mondiale. La Chine a fait la preuve de ses capacités dans ce domaine et on ne voit pas pourquoi elle les perdrait. Ainsi, le PIB de la Chine pourrait bien être en 2015 le plus élevé du monde.

La politique de la Chine est celle de la bicyclette condamnée à rouler pour ne pas tomber. Elle peut donc aller très loin.

Je vous remercie de votre attention.

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