L'ENTREPRISE EN AFRIQUE ET DANS L'OCÉAN INDIEN

Alain ROSSIGNOL

Conseiller culturel près l'Ambassade de France à l'Ile Maurice


Madame la Déléguée générale à la langue française,
Monsieur Painchault, Monsieur Chevallier,
Mesdames, Messieurs,

Mon témoignage sur le thème de l'interculturel dans le domaine du français des affaires se limitera si vous le voulez bien au champ déjà très vaste des pays d'Afrique francophone subsaharienne et de l'Océan indien qui est mon terrain d'expérience.

Ceux qui les connaissent bien m'excuseront de commencer par un bref historique. C'est Léopold Sédar Senghor qui a dit en substance que la colonisation avait laissé en héritage un cadeau à l'Afrique, la langue française. Ce cadeau n'a certes pas compensé de multiples vicissitudes, mais il est clair qu'aujourd'hui encore, ce vecteur de communication est en partage dans de très nombreux pays.

Rappelons brièvement que les indépendances des pays du sud se sont échelonnées de 1960 à 1978. Jusqu'à ces dates, le colonisateur a plaqué, avec plus ou moins de bonheur, ses propres modes de fonctionnement : école, santé, police, droit, etc. sans bien se soucier des capacités d'adaptation au contexte régional. Souvent réalisés à l'emporte-pièce, ces facteurs de développement ne se préoccupaient guère des traditions et des habitudes des populations.

Cependant, au fil des années, la nécessité d'avoir des dispositifs efficaces a conduit les décideurs à infléchir les processus mis en place, le fossé culturel entre les communautés entraînant des dysfonctionnements mettant en péril les équilibres très fragiles des identités naissantes des différents pays. Des avancées significatives, dues essentiellement aux contributions des responsables nationaux, ont permis de se libérer du carcan institutionnel hérité de l'ancienne puissance tutélaire. Les particularités locales, les identités culturelles, les racines, les traditions contribuèrent à générer de nouveaux modes de pensée, souvent par un métissage des cultures pour engendrer toujours un enrichissement mutuel. Par exemple, l'ossature à la française du système éducatif subsiste mais se complète et s'étoffe de toute une culture permettant l'ancrage dans le contexte social. Dans le domaine juridique, on garde le cadre du code Napoléon, mais on y intègre toutes les caractéristiques du droit coutumier. Loin de fermer l'institution sur elle-même, de telles adaptations ont permis au contraire de donner de la souplesse à ses structures, et ainsi de faciliter sa mise en perspective dans le cadre des grands courants économiques mondiaux ; ce qui permet actuellement aux États concernés de faire face, certes, avec des difficultés, mais également avec des atouts, au processus de mondialisation.

Dans ce contexte, le rôle de la communication et de l'information, donc de la langue, est essentiel, c'est un vecteur d'unité, de transversalité et de compréhension mutuelle. Le français des affaires dans sa rigueur, mais aussi dans sa convivialité, est l'instrument de communication par excellence.

Lorsque les circonstances ont rendu difficile l'accès à la connaissance par le livre (dévaluation du Franc CFA, désengagement de l'assistance technique, absence d'ouvrages adaptés aux contextes régionaux), il a paru nécessaire de chercher un outil adapté au besoin de nombreux utilisateurs. C'est ainsi qu'est née la collection "Gérer l'entreprise en Afrique et dans l'Océan indien", œuvre de la volonté commune et pugnace d'un éditeur, les éditions Foucher et du Ministère français de la coopération qui l'a subventionnée. L'éventail des domaines couverts est large, de la prise en compte de l'environnement, de l'économie, du droit aux techniques de fonctionnement, de la comptabilité, de l'administration, en passant par les aspects plus particulièrement humains et sociologiques, l'ancienne langue du colonisateur est devenue une langue de développement, une langue de partage.

En économie, ont pu être ainsi traitées les difficultés d'assimilation du commerce traditionnel, ce qu'on appelle le secteur informel mais aussi l'ouverture sur les intégrations régionales à partir des expériences de chaque pays. La prise de conscience de la notion d'appartenance à des espaces régionaux francophones mais pas seulement francophones, est ainsi un facteur important de désenclavement.

En droit, les complexités des bases juridiques ont été fédérées par l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires, l'OHADA, chacun s'enrichissant de l'expérience de l'autre.

En comptabilité, comme dans les domaines administratifs, la multiplication des échanges a été favorisée par les efforts de normalisation dans le cadre de l'OCAMM (Organisation Commune Africaine, Malgache et Mauricienne) d'abord, du SYSCOA ensuite, et je ne parle pas de la mercatique, domaine dans lequel Brice Mérieux à mes côtés excelle, il vous en parlera.

Ainsi, au fil des années, se sont forgées des identités fortes, faites d'une mosaïque de particularismes, mais les dépassant largement et évitant ainsi des replis frileux.

Je ne peux pas terminer ce propos sans vous parler de mon expérience mauricienne. L'Ile Maurice est au carrefour des influences, l'Orient, l'Occident, l'Afrique s'y retrouvent dans un florilège d'ethnies et de langues, le français, le créole, l'anglais, l'hindi, le télougou, le tamoul, le mandarin et j'en passe. Facteur naturel de rivalité, cette diversité a été au contraire à Maurice facteur d'unité. Véritable laboratoire du multilinguisme, ce pays m'est apparu au-delà de la séduction de ses paysages, comme un exemple d'étude fascinant de ce que peut devenir, lorsqu'il est géré avec conviction et bonne volonté, un espace de développement concerté.

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