LANGUE FRANÇAISE

Le français, langue vivante des affaires :
"ni subir, ni se résigner"


La langue de l’économie n’est pas fatalement celle que l’on veut nous faire croire. La 17e Journée du français des affaires et sa moisson de "Mots d'Or", récoltés à Paris, encouragent tous ceux qui créent hors du filtre imposé de l’américain.

Parler affaires ne signifie pas inévitablement jargonner en anglo-américain, "tendance" et en ligne... La langue économique n’est pas encore une et obligatoire. Elle peut aussi être maternelle et diverse, bref se montrer encore humaine. C’est ce que s’acharne à prouver l’infatigable association "Actions pour promouvoir le français des affaires", l’APFA, qui tenait le 18 novembre dernier à Paris la 17e journée du français des affaires. Et comme chaque année, l’association présidée par le tonifiant Jean-Marcel Lauginie a distribué ses "Mots d’Or" pour "saluer la volonté de créer et d’entreprendre en français et dans chaque langue maternelle". Saluer ? et aussi saliver, vu le thème de la Journée 2004 "La mercatique sensorielle dans les pays francophones - Langues et saveurs".

Langues et saveurs

Sous ce titre un peu savant, on a donc donné à boire et à manger à la réflexion des experts, comme des amateurs. Par exemple, avec des extraits du film danois de Gabriel Axel, "Le festin de Babette", présenté par Jacques Campet, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Des passages de "La vie dans tous les sens", un livre de Jean Saint-Geours, un inspecteur général des finances honoraire qui déplore "le dépérissement du vocabulaire des sensations au profit des mots techniques". Ou encore parmi des incursions variées dans le vocabulaire culinaire, une excursion en Alsace emmenée par Pierre Rézeau, directeur honoraire de recherche au CNRS. Promenade digestive après un menu très relevé, notamment par une dégustation des innombrables orthographes possibles du mystérieux mot "kugelhoff". Entre autres interventions délicieuses...

La Journée du français des affaires, organisée chaque année en participation avec l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), était coprésidée par le délégué général à la langue française et aux langues de France. Xavier North et Jean Saint-Geours, président de la commission spécialisée de terminologie et de néologie économique et financière. L’activité du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie dans ce domaine fait figure d’exemple en multipliant la publication de termes, d’abord conseillés, puis obligés, dans l’administration française.

"Intégrer et résister"

Plus de 1 ,100 termes repérés ou créés depuis 1996, de "courriel" à "minimessages" (au lieu de SMS), pour permettre à l’administration de parler français et moderne à la fois dans les secteurs enrichis chaque jour de produits et de pratiques nouvelles. Car l’activité terminologique de l’administration des finances, dont est chargé Gérard Painchault, inspecteur général de l’industrie et du commerce, ne vise pas simplement à tenter de repousser des envahisseurs. La recherche et la création de mots consiste, dans les domaines en développement constant (communications, économie, finances, technologies), à "enrichir les langues plutôt que de subir les termes importés, et s’y résigner", explique le haut fonctionnaire. Tout le contraire d’une autodéfense crispée et stérile de langue morte : le signe de la vitalité d’une langue que de savoir à la fois "intégrer et résister" aux invasions. Ne pas nier le charme des épices apportées aux langues par les mots nouveaux ou étrangers, mais ne pas non plus en abuser. C’est une question de dosage, avait précisé en introduction Bertrand Périssé, responsable de la communication à ce même ministère. Le journaliste Quentin Dickinson, directeur des affaires européennes à Radio France, exprime assez bien cette résistance volontaire et constructive au langage uniforme. Il ne connaît à l’antenne que la "mercatique" et rien du "marketing", du moins lorsqu’il s’exprime en français.

Les Mots d'Or

"À Bruxelles, on a plus conscience d’être francophone", a-t-il affirmé. Selon lui, pour que vive la langue française, il faut être "vigilant", souligner tout de suite les écarts et les dérapages, et les contrer en étant "inventif" en trouvant rapidement les termes français correspondants aux mots anglo-saxons qui font irruption en masse dans l’Europe des vingt-cinq langues. Quentin Dickinson a reçu le "Mot d’Or" de la presse audiovisuelle pour 2004. Dans la recette de la Journée annuelle du français des affaires, les communications les plus diversifiées sur les langues du monde précèdent la moisson des "Mots d’Or" : dix récompenses aux professionnels pour 2004, et vingt-huit lauréats étudiants ou lycéens de vingt pays, de l’Islande au Brésil, de la Macédoine à la Thaïlande. Ces derniers, invités à Paris pour y recevoir leur récompense, se sont distingués à l’épreuve internationale organisée en mars dernier dans les établissements d’enseignement et les institutions culturelles francophones du monde entier. Quant aux "Mots d’Or" professionnels, ils sont remis dans toutes les catégories : linguistes, écrivains, enseignants, traducteurs, à tout artisan et analyste de la langue, poète ou philosophe, auteur de lexique ou de dictionnaire. Avec une attention toute particulière pour le rôle et la responsabilité linguistique des journalistes.

Ainsi, l’APFA accueillait en ami Jean-Pierre Gaillard pour ses chroniques économiques et financières à Radio France et à LCI, comme l’un de ceux qui ont permis d’éviter de grands dérapages comme celui de "l'Euro-land", un mot né avec la nouvelle monnaie pour désigner paradoxalement une "zone euro" sans les Anglais.

"L’Europe nouvelle" en français

Pour la presse écrite, le jury des "Mots d’Or" a salué Christian Bidault, journaliste à La République du Centre "pour son attention à la langue française". Mais aussi il s’est attaché à encourager une aventure rare : celle de "L’Europe nouvelle", magazine d’économie et d’affaires en français, créé à Budapest en 2003. Le mensuel revendique aujourd’hui un tirage de 100 000 exemplaires diffusés dans 13 pays en direction des 5 millions de francophones vivant en Europe centrale et orientale, et projette de s’ouvrir sur l’Europe méditerranéenne.

L’APFA ne pouvait mieux choisir pour adresser son "signe de reconnaissance francophone", que de remercier l'Europe Nouvelle d’exister aujourd’hui, en français, en Europe et dans la presse, deux mondes où pour cette langue rien ne va de soi.

Mots d’or 2004

Presse audiovisuelle : Quentin Dickinson, France Inter.

Presse écrite : L’Europe Nouvelle (Budapest) et Christian Bidault (La République du Centre).

Auteurs : "Le français des affaires" de Lleana Constantinescu, "Ma­nuel de gestion interculturelle" de Jean-Marie Fèvre et "Les Mots de chez nous" de Jean-Claude Rey.

Entrepreneurs : Peugeot Citroën Slovakia pour avoir retenu le français comme langue de travail dans l’usine de Trvana.

Traduction : Veronika Nentcheva et Éric Naulleau pour leur traduction du bulgare du roman "Abraham le Poivrot" d’Angel Wagenstein.

Veille et créativité terminologique : Roger Quin (Institut national belge de Statistique).

N. B.

Les lexiques de français des affaires et les Mots d'Or de I’APFA sont sur le site de I’UPF (http://www.presse-francophone.org).

Alain Garnier

(La Gazette de la presse francophone - janvier-février 2005)

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