Les Mots d'Or de l'Économie Sociale

Le 17 Novembre dernier, Édith Archambault et moi-même avons eu le plaisir de nous voir décerner au Centre Culturel des Finances, à Bercy, la médaille des "Mots d'Or", catégorie "Presse écrite", pour notre article publié dans le numéro 293 de la RECMA. Le jury précise dans ses attendus qu'il a particulièrement apprécié "le remarquable traitement terminologique comparé de l'économie sociale" que nous y avions présenté.

L'annonce de ce prix fut pour nous une double surprise ; d'abord parce que cet article, qui reprenait un exposé fait au précédent colloque de l'ADDES, n'avait par pour but de faire œuvre originale, mais de mettre un peu d'ordre dans l'imbroglio terminologique qui obscurcit en permanence les débats sur l'économie sociale, et qu'en aucune façon nous ne pensions concourir pour une distinction ; ensuite parce que, à notre grande honte, nous n'avions jamais, ni Édith ni moi-même, entendu parler des Mots d'Or de la Francophonie, ni de l'Association pour la Promotion du Français des Affaires (APFA) !

Et pourtant, il s'agissait de leur dix-huitième édition (certes, mais à l'ADDES nous en sommes à la vingtième !). Si donc vous partagez l'ignorance qui fut la nôtre, allez vite lui faire un sort en cliquant sur : http://www.apfa.asso.fr ou https://www.presse-francophone.org puis sur l'icône APFA. Vous verrez à quel point le travail réalisé par cette association est considérable.

La réunion de remise des médailles fut, je l'avoue, un grand moment. Je ne m'attendais pas à une telle assistance, au nombre de jeunes lauréats venus des quatre coins du monde. Chacun avait son aventure à raconter. Elvira venait du Bachkortostan, et Marina du Tatarstan. Elles m'ont donné une furieuse envie de connaître leurs pays ! Pour découvrir Paris, elles s'étaient donné rendez-vous quelque part sur la Volga et ont fait ensemble quatre jours d'autobus pour rejoindre Moscou, où elles ont enfin pu prendre un vol charter financé par l'Ambassade de France. J'ai eu chaud au cœur à écouter ces deux grandes magnifiques Slaves blondes, étudiantes en sciences quelque part entre Oural et Caucase, et parlant un français parfait.

Je ne vous parle pas davantage de la médaille, car il faut la voir, et surtout la soupeser ; nul ne saurait la porter en sautoir, car elle a la taille d'un bouclier. En ouvrant l'étui, tout cela m'a paru vraiment surréaliste : un objet de cette dimension, pour une rencontre fortuite entre la francophonie et l'économie sociale ! J'ai improvisé un petit discours de remerciement, à peu près ceci :

Engagé à la fois dans la défense de la langue française et dans celle de l'Économie Sociale, recevoir un tel prix sans en rien l'avoir cherché est pour moi plus qu'un symbole.

C'est d'abord une reconnaissance de la RECMA, cette revue dont nous savons que, malgré nos efforts, la diffusion est assez limitée ; pas tant que cela, puisqu'elle est parvenue entre les mains de votre Jury, et qu'elle a retenu son attention. Je suis très heureux pour la RECMA.

C'est ensuite un encouragement au rapprochement de deux mondes qui s'ignorent. Certes, le combat francophone est, entre autres, porté par nombre d'associations, mais aucune de celles-ci ne s'est, à ma connaissance, reconnue et engagée dans un mouvement d'Économie Sociale. Pourtant, de nombreuses passerelles potentielles existent, et il conviendra de les rendre praticables et fréquentées.

De l'autre côté, les choses se présentent plus difficilement, me semble-t-il. L'Économie Sociale s'est fortement engagée en direction de l'Europe, avec un succès très relatif d'ailleurs, mais elle n'a jamais esquissé d'effort semblable en direction de la Francophonie. Est-ce une mauvaise perception des enjeux, ou l'effet de préjugés malvenus ? Je ne sais, mais il y a là une carence à corriger.

La Francophonie, c'est un point d'entrée du grand combat pour la diversité culturelle et linguistique du monde, pour la richesse des différences et des expériences. Elle n'est hélas souvent perçue que comme une réaction défensive, voire rétrograde, un handicap sur la voie d'une communication mondialisée et unilingue, elle-même curieusement présentée comme une perspective d'ouverture et de progrès, alors qu'elle ne provoque partout qu'appauvrissement de la pensée et alignement des paradigmes sur un modèle dominant.

La plupart des chercheurs ou des économistes que je rencontre sont naturellement portés à penser qu'en s'exprimant en anglais ils seront lus ou entendus par plus de monde. Peut-être, mais qu'est-ce qui aura été lu, ou entendu ? quel sens y aura-t-on donné, quel sens en sera reçu ? Je suis bien placé pour apprécier la nécessité d'un langage commun lors des rencontres internationales. Je sais qu'en statistique, en comptabilité nationale, nous pouvons prendre le risque du tout anglais, car chaque terme que nous utilisons est labellisé, défini avec la plus grande précision. Nous restons dans la technique, et le chiffre qui commande tout n'est jamais loin. Je conçois que les situations soient semblables en pétrochimie ou en physique nucléaire, par exemple. Ce qui ne doit bien sûr pas empêcher qu'en ces matières comme en d'autres nous sachions nous exprimer en bon français et enrichir sans cesse notre langue des mots nouveaux qu'il convient de lui apporter.

Mais s'agissant de l'Économie Sociale, les choses sont bien différentes. Il s'agit d'étudier et de promouvoir des formes d'organisation qui ne sont justement pas dans le fil du modèle dominant, qui sont profondément enracinées dans les particularismes juridiques, culturels et sociaux. Chaque fois que j'en ai entendu parler en "basic English", je me suis dit que l'auteur n'avait rien compris, mais que cela n'avait au fond aucune importance puisque personne ne pouvait comprendre la même chose. Autrement dit, voulant gagner du temps, tout le monde avait totalement perdu le sien. Quand l'essentiel tient dans la diversité, on ne peut faire l'économie d'un long apprentissage, de longues et tenaces explications.

Il en va de l'Économie Sociale comme du vin ou du fromage. Quand vous le mondialisez, vous obtenez un produit sans saveur qui n'intéressera personne et qui n'apportera nulle part ni développement local, ni maintien de l'emploi, ni sauvegarde des terroirs. De tout cela, la langue est partie intégrante, et la diversité des langues est consubstantielle à l'Économie Sociale, qui selon la formule d'Anatole France, est "fille de la misère et de la nécessité", non de la facilité et de l'uniformisation.

Je remercie donc le Jury d'avoir primé un article sur l'Économie Sociale, et ainsi de me rappeler doublement à mes devoirs !


Texte publié par Philippe Kaminski le 20 décembre 2005 à 17h46 sur son bloc-notes (http://economiesociale.blogspot.com)

Philippe Kaminski.

Philippe Kaminski

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