Cet article a valu à son auteur d'être lauréat du Mot d’Or de la Presse écrite 2016


DÉCHIFFRER : INNOVATION

La recette de l'innovation de rupture

MÉTHODE. Pour mettre sur le marché de nouveaux produits, les professionnels peuvent mobiliser la théorie C-K, mise au point à Mines ParisTech.

Mettre au point l'innovation qui vous différenciera de la concurrence, telle est l'ambition de nombre d'entreprises. On distingue en effet deux types d'innovations : l'innovation incrémentale, qui améliore les produits ou leur processus de fabrication par de petites actions souvent suggérées par les opérateurs, et l'innovation de rupture, dont le but est de mettre sur le marché des produits nouveaux.

De l'idée au produit nouveau

L'entreprise qui fonde son avantage concurrentiel sur l'innovation de rupture est prise dans un engrenage : elle dégage du profit tant que ses concurrents ne l'ont pas rattrapée, ce qui peut demander des années, mais le plus souvent quelques mois seulement. Elle doit donc innover en permanence, alors que l'innovation est un processus aléatoire, impossible à reproduire régulièrement. Ses mercaticiens ( *) et ses vendeurs cherchent des idées en visitant les salons professionnels, en analysant ce que font leurs clients, leurs concurrents, leurs fournisseurs. Ses techniciens et ses experts épluchent les revues spécialisées et suivent les travaux des chercheurs.

Cette veille permet de trouver des idées, et c'est là que la difficulté commence : comment transformer une idée en produit nouveau ? Il faut combiner la créativité et les compétences d'ingénieurs, de designers et de mercaticiens. Pour aider ces professionnels à travailler ensemble et à en tirer le meilleur parti, des chercheurs de Mines ParisTech ont mis au point, il y a une douzaine d'années, la théorie C-K, qui organise la conception innovante autour de deux espaces : C, l'ensemble des concepts issus de l'imagination, et K (knowledge), l'ensemble des connaissances permettant de concrétiser les concepts. L'exploration méthodique des interactions entre les deux espaces fait apparaître des solutions techniques (K) et de nouveaux concepts (C) auxquels personne ne pensait au départ.

Application suisse

La conception de la Swatch offre une bonne illustration de la théorie C-K (**). En 1976, l'horlogerie suisse est en pleine crise. Le directeur d'ETA SA (fabricant d'ébauches) confie à un jeune ingénieur, Elmar Mock, la recherche d'un produit nouveau. Le concept de base (C zéro) est : "Une montre produite en série, en Suisse, d'un coût inférieur à dix francs (CHF)." Personne ne sait alors fabriquer une montre pour moins de 25 CHF. Le prix et la fabrication en série imposent le plastique (K). Elmar Mock se perfectionne en plasturgie (K) et choisit un procédé très innovant de soudage à l'ultrason (K), qui va orienter profondément le concept : la Swatch sera irréparable (C). Il n'y aura donc ni pièces de rechange ni service après-vente (C). Ce choix modifie la structure même de la montre (K), qui comporte trois fois moins de pièces qu'un modèle ordinaire. Et in fine, ETA ne lancera pas la Swatch sur le marché comme une montre, mais comme un produit de mode. Avec le succès que l'on sait.



Les montres Swatch sont une bonne illustration de la théorie C-K.

* Mercaticien : spécialiste de la mercatique, ensemble des techniques et méthodes de stratégie commerciale.

** Le processus complet, reconstitué par l'un des deux inventeurs de la Swatch et un spécialiste de l'innovation proche de l'équipe ayant mis au point la théorie C-K, comporte de multiples interactions entre les espaces C et K. Nous n'en donnons ici que quelques exemples.

MARC MOUSLI

(Alternatives Économiques N° 336 de juin 2014)


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