LA LANGUE DE LA GESTION

"Paul s’arrêta dans un autocenter pour faire le plein de gas-oil avant de prendre le car-ferry. Sa société, qui travaillait beaucoup à l’export, lui offrit un incentive-tour à Londres. Il devait assister à trois conférences dans une business-school : une sur les incoterms, une autre sur le franchising, et la troisième sur les joint-ventures. La traversée fut un peu plus longue que prévu à cause d’un container-ship. Paul en profita pour aller faire du shopping dans le duty-free-shop du ferry-boat. Il n’y trouva rien d’intéressant sinon quelques pin’s pour son fils. Aussitôt après le débarquement, il échangea quelques traveller’s checks dans une drive-in bank." Remplacez dans le texte ci-dessus les expressions et mots étrangers par des équivalents français. Cet exercice a fait partie des épreuves du concours de la Coupe francophone du français des affaires (le Mot d’Or 92) destiné aux élèves et étudiants des écoles de commerce et de gestion. Créé en 1988, ce Mot d’Or a une triple vocation : l’amour des mots, la passion de l’action efficace et l’avenir de chaque culture.

CINQUANTE SPÉCIALISTES

À l’origine, il y a un professeur d’économie et de gestion qui, au début des années 70, avait le plus grand mal à enseigner à ses élèves les techniques portées par des termes étrangers qui ne correspondent, a priori, pas à la culture des jeunes : merchandising, mailing, marketing, sponsoring, raider, probing.

En ce temps-là, les débuts de la formation à la gestion et les concepts de base sont flous. Le jeune professeur n’est pas le seul â ressentir le besoin de clarification : en janvier 1974, une note du ministère de l’économie demande aux spécialistes de s’exprimer dans une langue claire.

Le président de l’Action pour promouvoir le français des affaires (APFA), Jean-Marcel Lauginie, se défend d’être un puriste, un défenseur du bon français. "Notre souci n’est pas de lutter contre le franglais, ni même de protéger notre langue. Il s’agit de tout autre chose. Nous voulons arriver à une limpidité de la langue économique en tant que vecteur de communication. Condillac disait : "Une science, c’est une langue bien faite". La gestion, c'est avant tout aussi une langue bien faite."

Pour Jean-Marcel Lauginie, il est essentiel, non seulement de traduire en français les termes anglo-saxons, mais de pousser les autres pays à en faire autant. Il déplore, par exemple, que les Allemands parlent de software, faute d’avoir un équivalent germanique pour le terme logiciel. Les dialogues seront facilités si chacun prend conscience de l’importance capitale de. la terminologie dans un domaine aussi universel. La correction des termes est jugée à la fois par la délégation générale à la langue française, par l’Académie française, par des économistes, sans oublier les hommes de médias.

Le chouchou de l’association est l’entreprise IBM, pour avoir inventé et imposé le terme "ordinateur" au lieu de computer, mais aussi pour l’effort colossal que représente son centre de francisation à Marne-la-Vallée, où plus de cinquante spécialistes assurent la francisation des produits et la traduction de milliers de documents techniques.

Un dépliant de poche réédité chaque année, 700 mots pour les affaires, présente les expressions françaises nouvelles telles que mercatique pour marketing, exclusivité pour scoop, parrainage pour sponsoring et voyagiste pour tour operator. Son succès ne se dément pas depuis quelques années, preuve, si besoin en est, de son utilité.

Liliane Delwasse

(Le Monde, mercredi 25 novembre 1992)

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