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Les avis de l'Office

La famille mercatique
(Gisèle Delage, Noëlle Guilleton)


Au commencement, c'est-à-dire dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, était le marketing. À cette époque, on a, d'entrée de jeu, eu recours à l'emprunt du terme anglo-américain marketing pour désigner l'"ensemble des principes, des techniques et des méthodes qui ont pour objectif de prévoir, constater ou simuler les besoins du marché en vue d'adapter en conséquence la production et la commercialisation de biens et services pouvant répondre aux besoins ainsi déterminés" (1).

Les marchés et les façons de les exploiter se raffinant au fil des ans, on a vu apparaître aux États-Unis, puis dans le reste du monde occidental, des réalités et des notions connexes à celle de marketing, et bien sûr les termes, simples ou composés, pour les désigner : marketing mix, marketing expert ou marketer, direct marketing, marketing plan, etc. Le marketing est même devenu une discipline, celle de la "science du marché".

Devant cet essor, il a paru opportun de réexaminer le bien-fondé de l'emprunt du terme marketing et de tous ses composés, dont la liste n'est sûrement pas close (social marketing, political marketing, marketing tool, comarketing, etc.). Quelles ressources la langue française offre-t-elle pour proposer une solution de rechange à marketing ? Est-il même pensable de le supplanter, lui et sa famille ? L'avenir répondra à cette seconde question, mais pour la première, les possibilités ne manquent pas.

À la suite de nombreuses propositions d'équivalents français, une solution semble toutefois se dégager. En effet, le terme mercatique, proposé il y a plus de vingt ans, s'est maintenu jusqu'à ce jour. Terme formé du mot latin mercatus, à l'origine de notre marché, il a comme avantages sa souplesse d'utilisation et sa facilité de dérivation, en plus d'une forme et d'une sonorité modernes.

Mercatique est à la fois nom et adjectif (comme mathématique, informatique, électronique, etc.), il est de même longueur que marketing, il n'en est pas tellement différent à l'oreille tout en étant facile à prononcer, et surtout il permet d'obtenir une famille homogène et conforme aux règles de formation des mots en français. On peut donc ainsi accueillir, en plus du nom mercatique (applicable à différents domaines : mercatique bancaire, mercatique industrielle, mercatique hôtelière, etc.), l'adjectif mercatique, qui permet de former des termes ou expressions comme stratégie mercatique, service mercarique, gestion mercatique, technique mercatique ainsi que les appellations d'emploi mercaticien et mercaticienne plus maniables que spécialiste du marketing.

À côté de la mercatique se sont développés le marchéage (marketing mix), c'est-à-dire l'"application pratique de la mercatique caractérisée par le dosage équilibré des moyens d'action, tels les produits, le prix, la distribution, la vente, la communication et la promotion, dont dispose l'entreprise pour atteindre ses objectifs" (2), le marchandisage (merchandising), qui est l'"ensemble des techniques de présentation des marchandises s'appuyant sur l'analyse du comportement des consommateurs et visant à accroître l'écoulement des produits sur les points de vente" (3), et la commercialisation, "opération de mise sur le marché d'un bien ou d'un service" (4).

Tout en reconnaissant qu'un emprunt ancien comme marketing est largement utilisé, il n'empêche que les chances d'implantation du terme mercatique sont bonnes, puisqu'un grand nombre d'instances francophones s'entendent sur l'intérêt de son adoption. Les dictionnaires généraux récents attestent tous mercatique et ses dérivés ; en France, l'association Action pour promouvoir le français des affaires se charge d'en faire une large diffusion, et des écoles de commerce donnent désormais des cours de mercatique et décernent des diplômes dans cette discipline ; des ouvrages spécialisés se plaisent maintenant à traiter de mercatique et, plus encore, la série de normes internationales ISO 9000, et particulièrement la norme 9004 intitulée Gestion de la qualité et éléments de système qualité — Lignes directrices, traite notamment de "qualité en mercatique" et de "processus de mercatique" ; ces normes ont d'ailleurs été adoptées par l'Association canadienne de normalisation (CSA).

L'Office de la langue française, tout en admettant l'emploi de l'emprunt marketing, accorde la préférence au terme mercatique, de même qu'à mercaticien, mercaticienne, marchéage et commercialisation.

Sommes-nous en train d'assister - ou de participer - à un changement linguistique ? La famille "Mercatique" a probablement un bel avenir devant elle : souhaitons-le lui jusqu'à la septième génération !


1. Définition donnée dans l'avis de recommandation de l'Office de la langue française, 7 juillet 1990.
2. Avis de recommandation de l'Office de la langue française, 7 juillet 1990.
3. Nouveau Petit Robert 1993, p. 1350.
4. Avis de recommandation de l'Office de la langue française, 2 février 1991.


(La francisation en marche de décembre 1994 - revue de l'Office de la langue française du Québec)

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