FRANCOPHONIE

Les lauréats du «Mot d’Or 1995» fêtés à Neuchâtel

Appeler les mots par leur nom

"Mot d’Or" n’est peut-être pas le meilleur terme, la meilleure étiquette qui soit, mais toujours est-il que de plus en plus de responsables de l’économie et de la gestion s’appliquent à trouver le vocabulaire qu’il faut à ces secteurs d’activité. Et ce ne sont pas ses racines anglo-saxonnes qui ont fait rejeter "marketing" ou profit de "mercatique", mais le fait que le jeune ancêtre, s’il avait déjà pris pas mal de rides, était un peu trop mis à toutes les sauces. Un équivalent français lui a donc été trouvé, qui cible mieux, paraît-il, le sens recherché. De ce "Mot d’Or", il en a été beaucoup question ces jours derniers à l’hôtel BeauFort, où l’Association pour promouvoir le français des affaires (APFA) a distingué les deux lauréates suisses de la cuvée 1995 que sont Mmes Thi-Minh-Tam Bui, qui poursuit des études de droit à Neuchâtel, et Sophie Roduit, étudiante à l’École supérieure de commerce de Sierre.

L’idée du "Mot d’Or" revient à un inspecteur d’académie du ressort d’Orléans-Tours, M. Lauginie. Depuis sept ans est ainsi organisée une Coupe francophone des affaires qui s’adresse aux candidats francophones, et une Coupe du français des affaires réservée, elle, aux candidats dont la langue maternelle est autre. La dernière épreuve en date a vu en mars 20 pays, de l’Allemagne à la Turquie, et plus de 30.000 personnes y participer. C’est grâce au parrainage de la Société fiduciaire suisse - Coopers & Lybrand (STG C & L) et à l’un de ses directeurs, M. Pierre Christe, lui-même auteur d’un dictionnaire français-allemond-anglais-italien de la prévoyance professionnelle, que cette épreuve a pu se dérouler pour la première fois en Suisse cette année L’ambassade de France à Berne lui a apporté son soutien et les étudiants de l’Université de Neuchâtel et de l’École supérieure de commerce de Sierre auront été les premiers à y participer.

Lors de la remise des prix à Neuchâtel, manifestation à laquelle assistait l’attaché culturel auprès de l’ambassade de France, l’Université étant représentée par les professeurs Jean Borie et Milad Zarin-Nejadan, le directeur de l’École supérieure de commerce de Sierre, M. Antoine Maillard, a souligné les mérites d’un tel concours : faire toucher du doigt aux candidats la richesse de la langue française, langue qui, à I’instar des autres, est en perpétuelle évolution.

"En créant des mots nouveaux pour des concepts nouveaux, a terminé Antoine Maillard, en décrivant leur projet d’entreprise idéale, les étudiants ont montré qu’ils savent "entreprendre en français".

Jean-Marcel Lauginie a ensuite brossé l’historique du "Mot d’Or" et insisté sur le fait que, loin de se limiter ou seul hexagone, la promotion d’un français des affaires s’adressait à foute la francophonie, vaste bassin linguistique qui ne cesse d’enrichir la langue mère de ses apports. Et parce que jamais encore le "Mot d’Or" n’avait été organisé ni soutenu par unie entreprise privée, et que la crédibilité de cette promotion du français des affaires se trouve renforcée si les principaux acteurs de la vie économique y vont chacun de leur contribution, le président de I’APFA s’est fait un plaisir de remettre la médaille du "Mot d’Or 1995" à Pierre Christe.

Si cette initiative francophone mérite d’être largement saluée, le résultat, avouons~le, peut quelquefois laisser pantois. Franciser des mots est une excellente chose, mais le vocabulaire n’est pas tout quand la syntaxe laisse de plus en plus à désirer. Et puis l’anglais peut aussi faire partie de notre héritage, le Snowdon avoir des charmes autres que ceux de la ligne bleue des Vosges, et si "café-couette" - pour "bed and breakfast" - est bien joli à l’œil comme il l’est sur les lèvres, «traversier» fera-t-il vraiment oublier "ferry boat" ou "chanteur de charme" un "crooner" ? Entre Frank Sinatra et Tino Rossi, il y a longtemps que notre choix est fait; ce ne pouvait être qu’au détriment du Corse !

Cl.-P. Ch.

(Journal de Neuchâtel, 6 décembre 1995)

 

ANNEXE : intervention faite lors de la remise des prix aux lauréats du concours "Le Mot d’Or", le 30 novembre 1995, à Neuchâtel, par M. Antoine Maillard, directeur de l'École supérieure de commerce de Sierre.

Le Mot d’Or 1995

En 1549, il y a donc près de 450 ans, Joachin du Bellay fait paraître sa "Défense et Illustration de la langue française". Les préoccupations de Joachin du Bellay n’ont pas une ride. Et Pierre Etiemble, dans les années soixante, soulevait le même problème dans un ouvrage remarquable :“Parlez-vous franglais ?”. Il mettait en évidence la richesse de notre langue, trop souvent délaissée pour des termes étrangers.

Nous devons défendre notre langue et l’illustrer, c’est-à-dire l’enrichir, par la création de mots nouveaux, qui décrivent avec précision des concepts nouveaux. Défendre le français n’est pas faire preuve de chauvinisme ; c’est défendre notre culture. La langue, c’est le génie et la culture d’un peuple.

Les promoteurs du concours "Le Mot d’Or" œuvrent dans ce sens. Leur idée m’a immédiatement convaincu. J’y ai vu une occasion de mettre les étudiants de l’École supérieure de commerce de Sierre face au problème. L’appel à la créativité des jeunes m’a également plu. On se plaint souvent que les jeunes sont des consommateurs. Avec "Le Mot d’Or", ils devenaient des acteurs.

Dans un premier temps, j’ai inscrit tous les élèves de l’école au concours "le Mot d’Or". L’examen des épreuves a révélé des difficultés insurmontables pour les élèves de première année. Ce sont dès lors 115 jeunes qui ont consacré deux heures à découvrir des mots qui fleurent bon notre langue et à en suggérer de nouveaux.

En général, les candidats ont rédigé assez aisément les deux premières parties de l’épreuve. La pratique de l’anglais leur a permis de passer sans trop de difficultés du franglais au français.

Les deux dernières parties étaient moins abordables pour nos élèves. Ils avaient le handicap de ne posséder que peu de racines grecques ou latines, racines qui sont tout de même la base de l’enrichissement de notre langue. Dans la troisième partie, je puis cependant relever quelques suggestions assez heureuses. Ainsi, pour l’alliance de deux marques, on propose : bimercacité, duoperformance, publifusion et marcalliance. Pour la comparaison des produits et des méthodes avec ceux des meilleurs concurrents, on crée : comparaison concurrentielle, concurro-comparaison et autocomparaison extérieure. Enfin, pour la politique commerciale qui lance un produit à un prix élevé, on suggère: la surélévation primaire, la politique Trocher, le PEMP (prix élevé, marque prestigieuse) ou le prix griffé.

Dans la quatrième partie, on demandait aux jeunes d’exposer leurs projets d’entreprises. Ce qui m’a frappé, ce n’est pas tant les projets que la façon de réaliser ces projets dans les entreprises. II y a très souvent un désir de solidarité, d’aide aux démunis, du respect de l’environnement. On veut créer des entreprises pour les jeunes, on veut mettre sur le marché des produits de qualité mais bon marché. Une chose m’a particulièrement étonné : le bénéfice reste souvent au second plan. D’abord servir, ensuite gagner. En cela, les jeunes de Sierre expriment les idées des jeunes d’aujourd’hui.

Quelques participants ont tout de même donné des détails sur l’entreprise qu’ils souhaitaient créer. Pour l’un, ce sera la maison “Prosports”. Des employés spécialement formés pour telle clientèle particulière (jeunes, adultes...) assureront un service de premier ordre. Un autre ouvrira la maison “Kifétou”, service de dépannage universel. Toujours cette idée du respect de l’autre, de l’entreprise au service des clients.

Dans un domaine utopique, mais qui révèle toujours cette notion de rapport entre les hommes, un jeune verrait un gigantesque pont entre Montana et le Val d’Anniviers. L’ouvrage, abondamment décoré de peintures et de sculptures, serait à la fois pont-exposition et lien entre deux régions qui se regardent parfois comme chien et chat.

Je félicite les organisateurs du concours "Le Mot d’Or". Ils sauront apporter à leur épreuve les améliorations qui la rendront encore plus attractive. Cependant, au terme de mon intervention, je puis dire que, si le concours a sensibilisé les jeunes à la richesse, à la beauté de notre langue, s’il leur a donné l’envie de l’utiliser et de l’enrichir, il a atteint son but.

Antoine Maillard, directeur
École supérieure de commerce, Sierre

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