COMMUNICATION

CONVAINCRE SANS CONTRAINDRE


Le patient combat de la Délégation à la langue française.


Défendre le Français dans le milieu des affaires est-ce un combat d'arrière garde comme certains portent à le croire ? Probablement pas, mais un combat difficile où le terrain doit être défendu pas à pas.

Entretien avec Loïc Depecker

Organisme de réflexion, d'évaluation et d'action, la délégation à la langue française est chargée de promouvoir, coordonner et mettre en œuvre une politique globale en faveur de la langue française. Sa mission, fixée par la loi du 4 août 1994, dite loi Toubon, est d'assurer le respect de l'emploi de notre langue sur le territoire national et de garantir son utilisation dans tous les actes de la vie de la cité.

Dans le monde des affaires, où apparaissent sans cesse des concepts nouveaux, des produits ou des technologies en mal d'appellation, sinon de traduction à partir de l'anglais, la délégation cherche les moyens et les idées pour consolider le français du XXIème siècle. Un important travail d'études et d'enquêtes se fait avec l'administration, des commissions ministérielles, des organismes professionnels, des entreprises dans de multiples domaines : l'informatique, le transport, les télécommunications, les affaires, la finance, la publicité...

Deux milieux sont particulièrement sensibles à la pénétration de l'anglais : la publicité et l'informatique. Pour la publicité, il s'agit d'une sorte de snobisme. Il faut faire "pro" et branché (voir le snobisme de l'anglomanie - Philippe Baverel - Le Monde Initiatives -13 mars 1996), surtout lorsqu'on travaille sur des budgets internationaux. En ce qui concerne l'informatique, "les termes anglo-saxons sont repris par paresse, mais aussi parce qu'ils désignent généralement des concepts technologiques très pointus, d'émergence récente, dont la signification au départ est confidentielle, même en anglais" (Philippe Renard, président de la Commission ministérielle de la terminologie de l'informatique, cité par le Monde Initiatives). De son côté le comité français des constructeurs français d'automobiles a réussi à établir un glossaire "Des mots et des autos" qui couvre l'ensemble des termes automobiles. Des entreprises aussi apportent leur contribution : le magasin Le Printemps a collaboré avec la commission concernée à l'élaboration d'un lexique franco-anglais de communication commerciale.

"Au dirigisme linguistique dont ont été accusés Étiemble et Alfred Sauuy dans les années 60 a succédé une approche plus souple dite d'aménagement terminologique, explique Loïc Depecker, chargé de mission à la délégation. Nous travailIons pour qu'existent des mots français pour désigner les réalités nouvelles et étudions les concepts qui se trouvent derrière les mots. Mais de là à les imposer ! Notre travail est d'outiller la langue et élaborer une terminologie technique française qui remplace des mots anglais."

Évaluation : des succès et des échecs. Si monospace a définitivement éliminé minivan, si covoiturage s'est confirmé pendant les grèves au détriment de car pool, baladeur ne s'est pas encore imposé devant walkman. Quant à marketing, il résiste à mercatique et sponsor s'accroche devant financeur ou parraineur. "On ne peut pas tout arrêter, c'est sûr. Mais il faut néanmoins une veille néologique. On ne peut pas forcer les choses ; il faut laisser l'usage se faire."

Aussi critiquée soit-elle, la loi Toubon a eu pour mérite de sensibiliser les Français à l'invasion du vocabulaire anglo-américain. Dans cette mouvance, l'attitude de la délégation est de convaincre sans contraindre. Ambitieux défi !

Loïc Depecker est l'auteur du dictionnaire des métiers. Éd. Virgule - Le Seuil.

(Management France n° 96 d'avril 1996)

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