Le nouveau dispositif d’enrichissement de la langue française

(Note Bleue de Bercy n° 148 du 1er au 15 décembre 1998)

Cet article a été rédigé à partir des éléments communiqués par la délégation générale à la langue française et par la commission spécialisée de terminologie et de néologie du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.

L'objectif général du dispositif est d’encourager l’adaptation du vocabulaire français aux évolutions du monde contemporain, principalement dans les domaines économique, scientifique et technique. En effet, le français doit être en mesure de désigner toutes les réalités contemporaines. Deuxième langue de communication internationale, il est langue officielle et langue de travail de la plupart des organisations internationales, ce qui implique notamment que leurs traducteurs puissent disposer, dans des domaines spécialisés, de tous les termes français correspondants.

La terminologie économique et financière officielle a vingt-cinq ans.

La première liste de termes a été élaborée en 1973 par la première commission ministérielle. C’est à ce moment-là qu’ont été forgés et officialisés des mots devenus d’usage courant comme jardinerie pour garden center, marge brute d’autofinancement (MBA) pour cash flow, publipostage pour mailing ou termaillage pour leads and lags.

En dix ans, de 1985 à 1995, la deuxième commission a donné naissance à 300 termes nouveaux.

La liste du vocabulaire de l’économie et des finances, parue le 14 août 1998 au Journal officiel de la République française, est la deuxième liste publiée par la commission générale de terminologie et de néologie, dans le cadre du nouveau dispositif d’enrichissement de la langue française, mis en place par le décret du 3 juillet 1996.

Les grandes lignes du nouveau dispositif

L’adoption des nouveaux termes : une procédure plus complète et plus large

La nouvelle procédure d’adoption des termes comporte désormais trois étapes: la commission placée au sein de chaque ministère, ou commission spécialisée de terminologie et de néologie, principalement composée d’experts, est chargée d’analyser les besoins terminologiques propres à son domaine et fait des propositions de termes nouveaux, accompagnés de leur définition, à la commission générale de terminologie et de néologie. Celle-ci examine ces propositions et transmet les termes qu’elle retient à l’Académie française. Cette dernière formule un avis sur les termes proposés. Les termes ne peuvent être publiés par la commission générale de terminologie au Journal officiel que s’ils ont obtenu l’accord de l’Académie française. C’est la première fois que l’Académie française se trouve associée officiellement et de façon systématique aux travaux institutionnels de terminologie et de néologie.

Le nouveau texte prévoit également la collaboration étroite des commissions de terminologie et de néologie avec l’ensemble des partenaires francophones.

Le rôle de l’État : coordonner, diffuser, promouvoir

En même temps qu’elle ouvre le dispositif à un plus grand nombre de partenaires et de compétences, la réforme redéfinit le rôle de l’État dans l’enrichissement de la langue française en l’appuyant sur deux idées complémentaires : l’État n’a ni vocation à décider du choix des termes, toujours plus nombreux et spécialisés, nécessaires aux différents métiers, ni pouvoir de les imposer à d’autres qu’à lui-même; en revanche, il doit se concentrer sur des tâches plus adaptées à ses missions modernes de service public : inciter à l’enrichissement du vocabulaire, soutenir et coordonner l’action des différents acteurs qui concourent à l’élaboration des néologismes et, surtout, œuvrer à la promotion et à la diffusion des ressources terminologiques ainsi créées.

L’obligation d’utiliser les termes publiés au Journal officiel est désormais restreinte aux seuls services de l’État. Les pouvoirs publics comptent donc sur l’effet d’entraînement, bien au-delà de l’État, d’une telle mesure

C’est dans cette optique que le Dictionnaire économique de l’anglais et du français, fruit d'un partenariat entre la Banque de France et le ministère de l'économie, des finances et de l’industrie, présente simultanément au lecteur, maîtrisant ou non l’anglais, les termes clefs utilisés en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis par les experts et les praticiens du budget et du financement de l’État, Cet ouvrage est publié à la Documentation française dans la collection "Documentation et Information".

De nouveaux moyens d’action et de diffusion

Le décret du 3 juillet 1996 prévoit que chaque ministère se dote d’une commission spécialisée de terminologie et qu’il désigne un haut fonctionnaire chargé de la terminologie, ainsi qu’un service chargé d’assurer le secrétariat de la commission et la diffusion des termes. Ainsi chaque commission spécialisée dispose-t-elle, au sein du ministère auquel elle est rattachée, d’un solide appareil administratif qui assure la coordination des différentes activités terminologiques et relaie la diffusion de ses travaux à l’intérieur de l’administration et auprès de ses partenaires.

Au 1er septembre 1998, 12 commissions spécialisées de terminologie et de néologie (CST) étaient en place, dans cinq ministères ou départements ministériels. Le seul ministère de l'économie, des finances et de l’industrie dispose aujourd’hui de 7 commissions spécialisées : la CST en matière économique et financière, qui compte plusieurs groupes de travail et 6 CST rattachées au secrétariat d’État à l’industrie : informatique et composants électroniques, télécommunications, chimie et matériaux, ingénierie nucléaire, sciences et industries pétrolières, automobile. Depuis le 20 avril 1998, l’ensemble du dispositif d’enrichissement de la langue française au Ministère dépend de M. Gérard Painchault, haut fonctionnaire chargé de la terminologie et de la néologie.

Les technologies de l’information et de la communication sont également largement utilisées, à la fois comme moyen de travail et comme canal privilégié de diffusion.

L'informatisation du travail des commissions de terminologie et leur mise en réseau permettront bientôt à ces commissions de travailler de façon plus rapide et plus efficace ; elles rendront possible, en outre, une meilleure harmonisation entre les différentes commissions travaillant sur des termes voisins et une coopération plus efficace avec nos partenaires francophones.

Ces techniques permettent également un progrès qualitatif et quantitatif dans la diffusion des nouveaux termes.

Les pouvoirs publics ont choisi, en effet, d’élargir la diffusion grâce à une hase de données interrogeable par l’Internet. Dotée d’un forum électronique, cette base, installée sur le site de la délégation générale (http://dglf.culture.fr), permettra, dès le premier stade des travaux sur une nouvelle notion ou un nouveau terme étranger, de recueillir les avis et suggestions des professionnels du domaine en France et à l’étranger et de les communiquer aux experts des commissions. Tous les termes publiés par les anciennes commissions ministérielles y seront consultables également, dès que leur révision par la commission générale de terminologie sera achevée.

Les premiers résultats du nouveau dispositif

Le programme de travail de la commission générale comprenait deux missions principales qui sont aujourd’hui pratiquement achevées : l’examen, selon la procédure normale instaurée par le décret précité (art.9), de toutes les listes terminologiques, une dizaine, transmises par les précédentes commissions ministérielles de terminologie entre juillet 1994 et juillet 1996 et demeurées en instance ; l’examen, selon une procédure accélérée (art. 13), de l’ensemble des termes (environ 4000) publiés au Journal officiel dans le cadre du précédent dispositif. Ce dernier travail, considérable, est également soumis à l’avis de l’Académie française. La publication de ces termes en un seul recueil devrait pouvoir intervenir au premier semestre 1999.

Mais la commission générale s’est également penchée à plusieurs reprises sur des besoins terminologiques isolés, de sa propre initiative ou à la demande des pouvoirs publics. Les termes et recommandations en question (euro, "Mél.", "stadiaire") ont été publiés au Journal officiel du 2 décembre 1997

Publiées dans la rubrique "Avis et communications" du Journal officiel, ces listes terminologiques se composent de deux parties: 1) une liste des termes et définitions; 2) une table d’équivalence français-anglais / anglais-français.

La liste des termes, expressions et définitions du vocabulaire de l’économie et des finances publiée au Journal officiel du 14 août 1998, encore appelée la huitième liste puisqu’elle a été transmise dans le cadre de l’ancienne procédure, est intéressante à plus d’un titre. D’abord, parce qu’elle rassemble, dans la partie B, 12 des 13 conditions internationales de vente (CIV) avec le sigle de chacune en français. Il faut se reporter à l’arrêté du 18 février 1987 pour y joindre la treizième : le franco à bord avec son sigle français FAB (pour free on board - FOB) que la direction générale des douanes et droits indirects a bien installée dans les statistiques du commerce extérieur. Les termes généraux de la partie A forment une liste plus hétéroclite. Pour certains termes, la commission générale a souhaité laisser au temps le soin de déterminer quel est le meilleur équivalent possible pour éliminer un terme envahissant. Il a semblé opportun aussi de rappeler que le lancinant turn over a un équivalent facile et qui s’applique à toutes les situations : la rotation.

Si, enfin, l’expression "intelligence économique" est employée en macro-économie, il a semblé également utile à la commission générale de ne pas favoriser l’extension de ce faux ami dans des domaines où seule la veille, le vrai sens de l’
intelligence anglais, importe. Dans le domaine de l’économie d’entreprise, la veille économique devrait l’emporter avec ses deux dérivés : veille à la concurrence pour competitive intelligence et veille au marché pour marketing intelligence.

Enfin, on a fait valoir que la defeasance (mot ayant cours non seulement en anglais, mais également en allemand et en espagnol), c’est-à-dire le transfert à une unité distincte d’un ensemble d’actifs d’une société, actifs généralement considérés comme compromis, méritait la francisation, c’est-à-dire une graphie et une prononciation françaises, avec un juste retour des choses pour un mot que le dictionnaire Harraps‘ indique comme venant du "vieux français, desfaisant, participe présent de desfaire". Ce mot a ainsi rejoint la famille faire, défaire, dans laquelle figurent le faisant, le défaiseur (Littré), la faisance et les faisances (Littré et Robert).

Le fonctionnement du dispositif et ses principes de travail

Les relations avec l’Académie française

L’Académie française, à qui le nouveau dispositif réserve une place et un rôle éminents, en tant que membre de droit de toutes les commissions et instance ultime d’approbation des termes, participe très activement aux travaux de terminologie et de néologie. Sa participation, à travers le service du dictionnaire, aux réunions de toutes les commissions spécialisées a permis l’instauration d’un dialogue fructueux, tout au long des étapes de l’examen des termes, entre spécialistes du domaine et spécialistes de la langue et du lexique.

En tant qu’instance d’approbation, l’Académie française a rendu ses avis dans des délais très courts, bien inférieurs aux limites fixées par le décret, tant pour les termes examinés en urgence que pour les listes qui lui ont été transmises. Enfin, l’Académie n’exprime pas un simple verdict en forme de couperet : pour beaucoup des termes qui n’ont pas obtenu, en premier examen, un avis favorable, l’Académie française formule des propositions de substitution, que la commission générale, après avis des spécialistes, réexamine.

La "jurisprudence" de la commission générale de terminologie

Le décret du 3 juillet 1996 a fixé les nouvelles bases des travaux d’enrichissement de la langue française et la mise en place de ce nouveau cadre juridique s’est accompagnée d’importantes mesures d’aménagement technique, en support, notamment, d’une ambitieuse politique de diffusion. C’était à la commission générale de terminologie et de néologie, clef de voûte du dispositif, d’indiquer, par ses premiers travaux, les orientations de fond des travaux à venir. La mise en œuvre des deux missions urgentes que lui confie le décret du 3 juillet 1996 a permis à la commission générale de dégager rapidement des principes de travail.

En bonne méthode, elle s’est attachée en priorité à délimiter son champ de compétence, question sur laquelle les textes ne se prononçaient pas avec précision. Paradoxalement, elle a donc commencé par définir ce dont elle ne s’occuperait pas, sauf à la marge, laissant à des acteurs plus qualifiés les tâches qui ne sont pas au centre de sa mission.

La commission générale de terminologie et de néologie a d’emblée exclu de son champ de compétence les travaux relevant de la normalisation technique, ceux qui consistent à définir les termes et les notions d’un point de vue juridique ou institutionnel, ceux enfin qui consistent à étudier ou définir des mots de la langue générale.

Ainsi se trouve défini en creux, pour ainsi dire, le domaine d’intervention privilégié du dispositif d’enrichissement de la langue française, celui où l’ensemble de ses acteurs doivent concentrer tous leurs efforts. Les administrations, les organisations internationales, mais aussi l’ensemble des professionnels et même, parfois, le grand public, attendent, dans des délais de plus en plus courts, des réponses à leurs demandes concernant la façon de désigner ou de traduire, en français, les réalités nouvelles. C’est d’abord à ce type de demande qu’il faut pouvoir répondre.

Les questions intéressant l’emploi de la langue française

Le décret du 3 juillet 1996 (notamment son article 6) donne toutefois au dispositif d’enrichissement de la langue française une compétence générale en matière d’emploi de la langue française, sur lequel il peut être consulté par les administrations. Ainsi le Premier ministre a-t-il chargé la commission générale de terminologie, comme le précise sa circulaire du 6 mars 1998, de mener une étude relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Parallèlement à l’étude générale, dont le rapport est à remettre à l’automne au Premier ministre, la commission générale de terminologie a chargé les différentes commissions spécialisées de mener des enquêtes particulières sur les usages observés dans leurs secteurs respectifs.

Quelques perspectives

Avec 1998 s’achèvera donc la première phase de l’existence du nouveau dispositif, qui devrait dès lors acquérir sa vitesse de croisière. De nouveaux chantiers pourront être lancés, dont certains concernent les méthodes (informatisation et travail en réseau, développement d’outils de veille terminologique, mesure de l’implantation des termes, etc.) et d’autres les orientations de fond. Parmi ceux-ci, deux pistes de travail ont d’ailleurs déjà été engagées : l’étude du vocabulaire de l’informatique et de l’internet; les travaux liés à la traduction et au plurilinguisme.

Le vocabulaire des technologies de l’information et de la communication

Le programme d’action gouvernemental "Préparer l’entrée de la France dans la société de l’information", que le Premier ministre a présenté le 16 janvier 1998, insiste sur le rôle que doit jouer une terminologie en français dans l’appropriation, par le plus grand nombre, des technologies de l’information et de la communication et confie à la commission générale de terminologie et de néologie le soin d’élaborer, à l’attention des divers départements ministériels, des recommandations régulières concernant les termes français relatifs à ces techniques. Piloté par le secrétariat d’État à l’industrie, un groupe de travail interministériel associant les commissions spécialisées de terminologie de l’économie (pour le commerce électronique, notamment), de l’informatique, des télécommunications, de la culture et de la communication, enrichi d’experts extérieurs, a pu communiquer à la commission générale une première liste de propositions pour le vocabulaire de base de l’Internet, qui sera publiée au Journal officiel avant la fin de 1998 et bénéficiera de la plus large diffusion.

Bien qu’en partie élaborée, comme la liste de l’économie et des finances, sous le dispositif précédent, la nouvelle liste de termes du vocabulaire de l’informatique, publiée au Journal officiel du 10 octobre 1998, constitue, avec les termes relatifs au courrier électronique publiés précédemment, le premier volet du travail de la commission générale de terminologie sur le domaine des technologies de l’information et de la communication.

Traduction et plurilinguisme

Les activités de traduction sont visées par le décret du 3 juillet 1996, qui dans son article premier donne mission à la commission de terminologie et de néologie de "promouvoir le plurilinguisme". Cet objectif implique de favoriser les activités de traduction vers et à partir du français, notamment en encourageant la collecte de données terminologiques et leur structuration en bases de données d’accès facile et rapide. Aussi les commissions spécialisées de terminologie doivent-elles participer au réseau d’assistance aux traducteurs des organisations internationales, en particulier pour les questions de néologie. D’un point de vue plus général, le développement croissant de la coopération internationale entre administrations ou services publics, notamment dans le cadre européen, renforce le besoin d’outils favorisant le passage d’une langue à une autre. Les travaux terminologiques, qui impliquent la clarification des concepts, préalable à toute traduction, sont donc au centre de ces préoccupations.

Certes, les commissions de terminologie et de néologie ont depuis longtemps pour tâche d’établir des équivalences entre les termes français et étrangers d’un même domaine et de les diffuser: ainsi, les listes de termes publiées au Journal officiel sont assorties de tableaux d’équivalents étrangers ; de même, la base de données de la délégation générale à la langue française prévoit l’interrogation à partir du terme étranger. Mais l’accent mis sur la traduction et le plurilinguisme jette un éclairage nouveau sur les travaux institutionnels de terminologie et élargit l’horizon traditionnel du dispositif. Le dispositif d’enrichissement de la langue française, et, en particulier, les commissions spécialisées ont un rôle important à jouer dans le développement et la coordination des activités de traduction au sein des administrations. Le fait que des secteurs qui en étaient auparavant dépourvus se soient dotés d’un appareil de terminologie et de néologie est à cet égard significatif. Ces secteurs souvent moins techniques (droit, relations internationales, justice, administration, affaires sociales), correspondent précisément au champ d’action privilégié et quasi exclusif des pouvoirs publics : la mission des commissions de terminologie placées auprès de ces administrations n’en est que plus cruciale.

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