PRÉSENTATION DU MOT D'OR DE LA TRADUCTION 2016 PAR ALAIN GARNIER

Le Mot d'Or a été remis à Nathalie GAILIUS pour la traduction française de l’italien du livre de Giacomo TODESCHINI « Au pays des sans-nom », publié aux éditions Verdier en 2015.

Tous sous le choc ! Au pays des sans-nom a laissé le jury sans voix. Plaidoirie superflue à l’heure de la délibération. La traduction de Nathalie Gailius, victorieuse aux points, s’est trouvée, sans controverse, médaillée du Mot d’Or. La qualité de l’édition française de l’œuvre magistrale et ardue de Giacomo Todeschini a dissipé certains scrupules à l’encontre d’un livre à l’abord difficile mais à l’essence si enrichissante et si clairement servie par sa traduction.

La tâche était considérable pour la traductrice de ce deuxième livre de l’universitaire italien, historien médiéviste mais aussi linguiste, qui épluche l’histoire par les mots, les « mots qui montrent du doigt ».

« Gens de mauvaise vie, personnes suspectes ou ordinaires du Moyen Age à l’époque moderne », sous-titre du livre de Giacomo Todeschini, observe la façon dont les mots du droit (donc dans un État de droit) ont exclu au fil des âges le plus grand nombre des citoyens pour concentrer le pouvoir entre quelques uns, autorités morales, religieuses et laïques, par la simple logique des vocables qui qualifient les personnes, leurs activités ou leurs croyances. Les mots pleuvent qui étiquettent les catégories de justiciables, entre ceux qui ont le droit et ceux qui ne l’ont pas de témoigner et de saisir la justice. Une empreinte indélébile qui paradoxalement rend invisibles la plupart des femmes et des hommes qui, depuis le Moyen Age, construisent l’édifice social européen.

Le texte lui-même, mais aussi des notes et citations imposantes, exigeaient pertinence et acuité extrêmes pour maîtriser un registre aussi varié de sources religieuses et laïques, de vocabulaire sociojuridique, voire « éthicoéconomique ». La traduction en éclaire toutes les subtilités. Ainsi d’ailleurs que la courte introduction de Patrick Boucheron qui participe de cette compréhension et aide encore l’accès du lecteur à l’étude du savant.

Au pays des sans-nom est l’œuvre d’un historien, c’est-à-dire d’un explorateur courageux et rigoureux du passé, ennemi des raccourcis trompeurs, des faux semblants et des déformations de ce que l’on pourrait appeler « l’histoire ressentie », dictée par les brasseurs de mémoire, architectes pressés d’une histoire statufiée pour les besoins ou les sentiments du moment. Ce livre qui nous en écarte est un bienfait.

Enfin, nous éprouvons un grand plaisir à distinguer avec la recherche historique un texte italien d’origine. Plaisir de renouer avec les apports multiples d’une langue si peu fréquentée dans l’espace francophone mais combien importante. Plaisir de nous passionner pour ce genre si éloigné de nos habituelles lectures de récits, fables et romans, souvenirs et compilations, fictions pédagogiques ou documentaires, annuellement soumises à notre jury par l’industrie littéraire.

C’est pourquoi Madame, vous voudrez bien accepter la manifestation voyante de notre enthousiasme à vous montrer du doigt, ou plutôt à vous montrer du mot, mais du Mot d’Or cette fois.


Paris, le 17 mars 2013,
Alain GARNIER
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