TÉMOIGNAGES DE RESPONSABLES D'ENTREPRISES ET D'INSTITUTIONS :

Intervention de Catherine BLUM, Chef du département Édition et promotion des produits nationaux à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Je vais essayer d’être très courte. Je voudrais d’abord insister sur un point : l’INSEE n’est pas une entreprise ordinaire, c’est une direction des finances, mais nous devons, et c’est indispensable, nous devons entreprendre quand même, nous sommes des entrepreneurs, donc en ce qui concerne l’atlas, tout ça peut être examiné de façon positive.

Nous venons d’en terminer un en partenariat avec le Conseil régional de l’Île de France, et il est tout à fait possible que nous développions encore des travaux en partenariat avec les pays francophones, ça ne nous pose aucun problème.

D’ailleurs c’est une forme de notre entreprise nouvelle, c’est de développer avec l’extérieur ce qu’ils savent mieux faire que nous. Ça nous apporte beaucoup par exemple de bons logiciels de cartes. L’INSEE s’ouvre si elle veut entreprendre.

Sur le point qui nous occupe aujourd’hui, je traiterai de la chose suivante : nous devons entreprendre en français, je ne dirai pas en français, je dépasserai un peu au-delà, nous devons faire passer nos idées, nos analyses, nos statistiques, dans tous les pays nous avons à résoudre la contradiction suivante, et c’est tout ce à quoi nous nous attachons : si nous voulons être reconnus à l’étranger, et notamment dans les pays anglo-saxons, dans la mesure où l’essentiel de la théorie économique est fabriquée, élaborée, promue par les pays anglo-saxons, nous sommes à un moment ou à un autre, si nous voulons que la recherche des travaux français de l’INSEE en particulier, mais des autres centres de recherche, soit reconnue, valorisée, et aille à leur juste place, il nous faut à un moment ou à un autre en passer par les fourches caudines de l’anglais ; c’est un des éléments de la contradiction à résoudre.

De notre côté, nous souhaitons défendre la langue et exposer avec les nuances proprement françaises les théories que nous voulons porter à la connaissance de nos lecteurs. C’est la contradiction que rencontre l’INSEE, mais que rencontrent tous les universitaires traitant d’économie.

Alors que faisons-nous à l’INSEE ? Je dirais qu’il y a deux choses qui sont dans des ordres très différents. Les petites choses, c’est pour insister sur la grande après, nous pratiquons systématiquement d’abord la version française. Ça n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Beaucoup de jeunes administrateurs écrivent parfaitement bien en anglais et disent "Je fais d’abord ma version en anglais et puis je verrai le français après". Donc nous nous arrangeons pour que la première version de tous les travaux, pour les colloques, tout ce que nous publions, la première version , le premier texte nuancé soit d’abord en français. Ça n’a pas l’air, mais c’est un problème. Nous pratiquons chaque année, nous mettons au point et nous agrandissons un glossaire. Ce n’est pas simple non plus.

Nous venons de faire un glossaire sur des choses difficiles qui sont les catégories socioprofessionnelles, c’est-à-dire les définitions de métiers, et je peux vous dire que ce qu’il y a en anglais n’est pas ce qu’il y a en français, et ce n’est pas qu’une question de traduction, c’est une vision de la direction d’entreprise, et une vision de la structure des métiers qui n’ont rien à voir avec la structure française. Donc ce n’est pas simplement un problème de traduction, ça va bien au-delà. Et donc mettre au point ces glossaires n’est pas simple, il faut ajouter des périphrases.

Troisième élément sur lequel nous travaillons systématiquement : pour tous les travaux que nous faisons connaître à l’étranger, nous avons une lettre pour faire savoir qu’on a lancé telle enquête, on a fait telle statistique, etc. ; la tentation forte serait : on va la faire en anglais, c’est tranquille. Non, cette lettre elle est d’abord faite en français pour tous les pays francophones, et ensuite nous en faisons une en anglais, une en espagnol, et nous songeons à l’heure actuelle à l’allemand. Donc nous pratiquons de façon systématique le multilinguisme.

Les difficultés sont le temps et l’argent. Il faut traduire, et il faut refaire les textes en français qui soient adaptés à la langue de traduction, ceci prend du temps, ou au moins il faut être très vigilant sur la qualité de la traduction. Mais ceci, je dirai, relève d’une organisation, de problèmes budgétaires, de la volonté du directeur, et ne pose pas énormément de problèmes.

Ce que je voudrais dire va bien au-delà de la langue, c’est que nous continuons à écrire en français de façon très ampoulée, très compliquée, et très peu lisible. Il m’arrive d’abord d’avoir une version française de quelque chose et de me dire au fond, je vais d’abord faire la traduction en anglais, et quand j’aurai ce texte en anglais, alors je reviendrai sur le texte français pour qu’il soit lisible, simple, court et percutant. Même en économie nous continuons à écrire dans une langue extrêmement, j’allais dire tordue, mais il y a un peu de ça, complexe, avec des phrases extrêmement longues. Le problème n’est pas une question de langue au sens de la traduction, il est le problème d’une écriture plus directe, plus courte, et de ne pas perdre trop notre temps à chercher des formules de salutations ou du type "à la suite de votre lettre référencée le tant pour, etc." Écrivons : "J’ai bien reçu, voilà votre question, et voilà comment j’y réponds". Et tant qu’on ne fait pas ça, alors il est clair que tout ce qui arrivera en anglais dans les pays sera tout de suite plus accessible.

Donc notre problème va bien au-delà d’un simple problème de traduction ou de défense terminologique, c’est un problème de lisibilité et de volonté à écrire pour être lu.

Je vous remercie.

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