LA LANGUE TECHNIQUE DES AFFAIRES (table ronde) :

Intervention de Maria del Carmen CUELLAR, Professeur à l’Université de Valence

Notre travail aspire à réaliser un recueil non exhaustif des termes anglais incorporés dans le courant terminologique de la langue française des affaires. Repérer quelques exemples, les analyser et en élargir l’étude jusqu’à trouver leur équivalent espagnol constitue le corpus essentiel de notre tâche. La méthode employée suit de près les travaux menés dans ce sens par l’Association Actions pour promouvoir le français des affaires, avec qui nous avons l’honneur de collaborer, ainsi que l’esprit des Commissions ministérielles de terminologie, notamment celle du Ministère des Finances et du Budget.

Ce travail correspond à une recherche plus vaste, actuellement en cours de réalisation, dont les parties essentielles sont l’étude empirique et l’étude expérimentale. Pour des raisons d’espace nous n’allons procéder à l’exposition que d’une de ces parties : l’étude empirique. La philosophie qui l’inspire ainsi que la méthodologie employée suit de près la méthodologie et l’esprit qui animent l’Association Actions pour promouvoir le français des affaires, ainsi que les Commissions ministérielles de terminologie, notamment celle du Ministère des Finances et du Budget, sous la direction de la Délégation générale à la langue française. Pour illustrer notre propos nous allons en exposer quelques principes essentiels.

Les raisons sur lesquelles nous nous appuyons ressortissent bien des critères provenant des ceux établis par les autorités en la matière : lors d’une réunion de Chefs d’État et de Gouvernement, des propos clairs et précis ont été formulés (Cfr.: SANT-ROBERT, Ph. (1988) Terminologies et Technologies Nouvelles. Actes du Colloque Paris-La Défense, 9 au 11 déc. 1985. Bibliothèque Nationale du Québec. pages. 19-24.). Je me bornerai à en citer quelques uns :

* Il faut entreprendre des actions en vue de sauvegarder l’unité de la langue.

* La langue est le premier outil du développement ; par conséquent, les organismes responsables de la politique linguistique ne doivent ni l’oublier ni négliger leur responsabilité.

* Pour améliorer la diffusion des néologismes auprès des entreprises il s’avère nécessaire d’adopter une méthode de travail commune et un modèle commun de fiches terminologiques.

* Il faut favoriser la fluidité de la circulation des néologismes techniques mais bien adaptés à la nature de chaque langue. Plus précisément, il faut assurer à nos productions de mots, c’est-à-dire à l’activité même de création, une certaine harmonie afin d’éviter des doubles emplois d’autant moins acceptables que, outre le gaspillage des énergies, ils affaibliraient vite la fonction première de toute langue qui entend rester une langue de communication internationale (comme c’est le cas de l’espagnol et du français, langues concernées dans notre travail), à savoir la compréhension.

* II faut également améliorer la diffusion de ces néologismes auprès des clients (sans avoir peur de ce mot) respectifs parmi eux, par exemple, les entreprises.

Pour la réalisation de notre travail notre démarche a été, dans ses grandes lignes, la suivante :

* Sur un corpus bien défini d’articles de revues spécialisées nous avons réalisé une analyse qualitative et quantitative selon le plan suivant : choix du matériel, dépouillement des termes anglais, recherche d’équivalents français renvoyant aux arrêtés ministériels, définition française du terme en question, recherche de l’équivalent espagnol, élaboration des questionnaires, conclusions.

* Nous nous centrons ici sur les termes signalés par la Commission de terminologie du Ministère des Finances, termes qui ont été soumis à l’approbation du Conseil international de la langue française, de I'Académie Française et, finalement, approuvés par les arrêtés ministériels correspondants.

* Le terme anglais est suivi de la définition en français formulée par la Commission ministérielle de terminologie. Toutes les définitions que nous proposons sont issues du Dictionnaire des termes Officiels, édition 1991.

* Nous y ajoutons le résultat de notre propre démarche afin d’être en mesure de proposer un équivalent espagnol. Nous avons obtenu ces équivalents en consultant des experts en la matière : professeurs d’économie de l’entreprise, de mathématiques des opérations financières, de comptabilité, de techniques de commercialisation et de théorie économique, appartenant aux Départements correspondants de I ‘Université de Valencia.

Notre travail étant en cours de réalisation, nous avons seulement gardé dans ce rapport les réponses coïncidentes, en privilégiant la variété plutôt que la quantité des participants celle-ci devant être normalisée au cours de la réalisation de la recherche intégrale. Par conséquent, ce rapport, nous en sommes persuadés, n’est que partiel, voire limité pour des raisons évidentes, notamment statistiques et quantitatives. De là que notre travail de recherche est incessant et demeure en révision permanente, car la terminologie, en tant que reflet des spécialités en pleine évolution, change sans arrêt (Cfr.: HUMBLEY J. (1990) Le paysage terminologique français en 1990. Terminologies nouvelles. n° 4, p. 26. RINT).

Pour l’exposé du contenu terminologique, objet d’étude, nous partons du schéma suivant : le concept français des affaires est sans conteste l’ensemble des contenus linguistiques qui véhiculent les différentes sciences de l’entreprise, c’est-à-dire : FRANÇAIS DES AFFAIRES, à savoir, langue des domaines suivants : transaction commerciale, économie, banque, bourse, droit, commerce extérieur, mercatique, communication, médias, distribution. Nous avons groupé les termes choisis selon les domaines thématiques des différents secteurs qui composent l’ensemble de la langue des affaires sans établir, bien entendu, des limites rigoureuses entre eux (Les limites entre les différents domaines se confondent, n’ayant du reste aucun intérêt à les maintenir si ce n’est que pour des raisons d’ordre lors de leur exposition).

Dans le domaine de l’entreprise et du commerce en général nous proposons :

"Teleshopping" ou "achat à distance utilisant les techniques de telecommunication ou de radiodiffusion" donne en français téléachat et en espagnol le mot composé, un peu forcé, telecompra (Ce système de vente est, jusqu’à présent, moins répandu en Espagne qu'ailleurs ; de là qu’on n’éprouve pas le besoin d’un terme propre pour s’y rapporter. Cependant il a été adopté par quelques chaînes de T.V., en tant que procédé, peut-être publicitaire, c’est pourquoi nous pensons qu’il va se répandre rapidement). Même observation pour "telemarket" ou "méthode de distribution permettant au client de choisir dans une liste de références et de commander à distance en utilisant les techniques de distribution". Les trois langues possèdent un terme de formation semblable par sa composition, à savoir : préfixe d’origine savante, tele, plus nom : "telemarket", télémarché, telemercado, mais aussi mercado directo, en espagnol ;

"Holding" (non défini par le Dictionnaire des Termes Officiels). Le Robert propose : "Société financière qui possède les actions d’autres sociétés, accomplit les opérations financières intéressant ces sociétés et dirige ou contrôle leur activité". En français on propose le terme tenante et en espagnol nous avons trouvé les expressions conglomerado, sociedad financiera de participación, grupo de empresas ;

"Trend", qui en français donne tendance de fond, équivaut en espagnol à l’expression tendencia primaria ;

"Cash-flow", pour ce terme, qui a deux sens bien que proches l’un de l’autre, la Commission de terminologie a donné la définition suivante : "Souvent désignée par l’expression anglaise cash-flow, la marge brute d’autofinancement est, au bilan de fin d’exercice d’une entreprise, le total constitué par les amortissements, tout ou partie des provisions, et le résultat net après impôt : elle représente la capacité d’autofinancement de l’entreprise dégagée au cours de l’exercice (avant une éventuelle distribution des bénéfices). On disait naguère capacité d’autofinancement, mais cette expression ne marque pas le caractère de la marge disponible et est donc moins précise que M.B.A. En espagnol les expressions employées sont équivalentes : margen bruto de autofinanciación, capacidad de autofinanciación et on emploie aussi l’expression flujo de autofinanciación et même dans un contexte plus colloquial flujo de caja.

Dans le domaine commerce et distribution (réseau de) l’anglicisme "shopping center" ou "grande surface de vente rassemblant plusieurs commerces et comprenant un parc de stationnement" donne aussi bien en français qu’en espagnol l’expression symétrique centre commercial / centro commercial, respectivement.

Dans le domaine des techniques commerciales, l’expression anglophone "world trade center" est définie en tant que "regroupement dans un même lieu de prestations de services destinés à faciliter les échanges internationaux" et traduite en français par centre d’affaires international. Pour l’espagnol, la traduction directe du français, centro internacional de negocios, ou aussi centro de comercio internacional, n’est nullement gênante du point de vue de la langue, mais on ne voit pas trop bien à quel concept on fait allusion. C’est-à-dire qu'il s’agit d’un des cas où, pour le moment, le mot n’évoque pas d’objet quelconque appartenant à la réalité espagnole. Il se peut que, dans un bref délai, on en aura besoin car les centres dont il est question auront été créés. D’autre part, il est bien confortable de trouver un équivalent lors de la traduction de textes. On pourrait affirmer que, dans ce cas, on a créé le terme avant l’incorporation de l’objet nouveau, donc le reférent précéderait le reféré.

"Venture capital" dans le domaine des finances et de la banque a été défini comme "l’investissement à risques assortis de gains potentiels élevés, consistant en prise de participations dans des entreprises œuvrant en principe dans les techniques de pointe, les idées nouvelles et sur les marchés risqués, réalisés notamment par des sociétés spécialisées, dites sociétés de capital-risque" et traduit par capital-risque qui donne en espagnol le calque capital-riesgo (Pour les cas de calque, nous nous limitons dans ce travail à les mentionner, sans préciser dans quelle direction il s’est produit. Nous reportons cette démarche à un travail ultérieur).

Dans ce même domaine l’expression anglaise "financial futures" s’exprime en français par le sigle C.A.T.I.F. qui, développé, donne contrat à terme d'instrument financier et, en espagnol, nous avons un équivalent assez proche du français : contrato aplazado de procedimiento financiero ;

"Hot-money", terme défini comme "Capitaux en quête de placements permettant la meilleure rentabilité à court terme quels que soient la place financière, la monnaie et le placement" trouve son équivalent français dans capitaux flottants et en espagnol capital especulativo ;

"White knight", expression signifiant "en termes de stratégie de défense d'une société faisant l’objet d’une offre publique, société intervenant à la demande de la société convoitée pour lancer sur elle une offre publique concurrente afin de faire échouer l’offre initiale". En français on a trouvé le terme chevalier blanc dont l’équivalent espagnol pourrait être très aisément "caballero blanco". Cependant on a crée tout spontanémei terme contra-OPA (Le terme est assez bizarre étant donné qu’il s’est formé par composition, phénomène d’ailleurs bien fréquent en espagnol, d’une préposition et d'un sigle : OPA dont le syntagme développé donne oferta publica de acciones ou offre publique d’actions)

En continuant dans les domaines des finances, de la banque et de la bourse, nous proposons: "trading floors" / "trading room" / "front office" dont la définition est le lieu regroupant les opérateurs chargés de prendre des positions sur les marchés financiers, monétaires et des devises, nationaux et internationaux, pour le compte de I'établissement ou de la clientèle". L’équivalent français est salle de marchés et l’espagnol n’a pas en trouvé le terme correspondant car il s’agit d’un concept inusité dans le monde des affaires espagnol. On pourrait proposer l’expression bien classique lonja de mercados (Lonja est l’équivalent de bourse de marchandises, le nom ne désignant que l’endroit, le site où les transactions ont, ou plutôt, avaient lieu. À présent , ce terme ne s’emploie guère que pour le marché du poisson sur les ports de pêche).

Leveraged management buy out (LMBO)" qui est la "technique de reprise d’une entreprise10 par ses salariés par constitution d’une société mère contrôlée par ces derniers et bénéficiant d’avantages fiscaux et grâce à l’appui de partenaires financiers intervenant en capital et en prêts complémentaires à long terme dont le remboursement est attendu du flux de trésorerie dégagé par l’entreprise (effet de levier)", a été traduit en français par rachat d’entreprise par ses salariés (RES) et en espagnol par apalancamiento financiero. On pourrait classer cette expression comme une image métaphorique puissante où, ce qui n’est pas fréquent en espagnol, s’est produit un raccourcissement du signifiant (À la rigueur, ce terme pourrait être inclus dans le domaine de l’entreprise en général) ;

"Glamour stock" pour lequel on a trouvé en français l’équivalent valeur vedette, avec pour synonyme valeur de croissance et comme définition "titre coté d’une société censée disposer d’un important potentiel de plus-value et exerçant en conséquence un fort attrait sur les investisseurs", donne en espagnol valor estrella. Vedette étant un terme incorporé depuis longtemps au courant lexical de l’espagnol, on comprendrait aussi le calque valor vedette ;

"Raider" dont le sens établi est défini comme "initiateur d’une offre publique sur les titres d’une société, conduite dans une logique exclusivement financière" trouve en espagnol le terme tiburón (au sens littéral requin).

En matière de Tourisme en tant qu’entreprise du secteur tertiaire, donc appartenant au chapitre Entreprise d’économie générale puisque nous n’enregistrons pas ce domaine en tant que tel dans notre schéma, le terme "tour operator", pour lequel on a créé le terme français voyagiste, s’exprime en espagnol par diverses expressions telles que agente de viajes mayorista, mayorista de viajes, operador de viajes (Et même il n’est pas rare d’entendre dire à quelques professionnels du secteur tour-operador (!). Il faut souligner la facilité de l’espagnol à absorber, à hispaniser, les termes étrangers en modifiant leur orthographe et leur phonétique. Pensons, par exemple, à la généralisation du terme "güisqui" pour n’en citer qu’un seul. Ce sujet nous occupera aussi dans l’avenir).

Dans le domaine Transports les expressions anglophones "duty free shop et tax free shop" trouvent leur équivalent en boutique hors taxes définie comme "boutique où sont proposées à la vente des marchandises qui ne sont pas soumises au paiement de droits et/ou de taxes". L’emploi du syntagme nominal tienda libre de impuestos n’est guère usité en espagnol ; on emploie en fait le terme anglophone.

Dans le domaine de la Publicité nous enregistrons les termes suivants : "brain storming" est une "technique de groupe destinée à stimuler l’imagination des participants en vue de leur faire produire le maximum d’idées dans le minimun de temps" qui en français donne le terme remue-méninges et en espagnol tormenta de cerebros ;

"Mailing" est un "moyen de communication publicitaire par voie postale", en français publipostage et en espagnol publicidad postal ou, selon le contexte, lista de direcciones ;

Maintenant nous étudierons quelques termes français, laissant de côté les expressions anglaises, et qui demandent parfois en espagnol une expression assez longue. C’est le cas du mot composé post-marché : dans les domaines des Finances, de la Banque, de la Bourse, il signifie "l’ensemble de procédures de traitement administratif (confirmation, règlement, livraison) des opérations conclues sur les marchés financiers, monétaires et des devises, nationaux et internationaux, pour le compte de l’établissement ou de sa clientèle". Le Dictionnaire des Termes Nouveaux y ajoute une Note : "Selon le cas, le service de post-marché a une vocation plus large, englobant la comptabilisation des opérations et le suivi des risques". En espagnol on emploie le syntagme nominal seguimiento de mercado financiero, expression qui recueille parfaitement le concept.

En revanche, très fréquemment ces deux langues utilisent des expressions équivalentes. En voici quelques exemples :

Prix réduit n’offre pas de difficulté à l’emploi d’un calque sans pouvoir préciser, nous y insistons encore une fois, dans quel sens celui-ci s’est produit : precio reducido.

Produit. Le substantif se dit en espagnol producto. Lorsqu’il est employé comme participe, sa forme espagnole se dit producido, ce qui n’est pas ici le cas.

Supermarché a son équivalent supermercado, de même que les diverses surfaces commerciales, dont les signifiants suivent dans leur formation le procédé : racine savante super (La langue parlée a minimisé ce préfixe savant en utilisant à tort et à travers l’homophone super, abrégé de superbe, à valeur d’adjectif ou d’adverbe) plus le nom marché, mercado. Seule l’orthographe subit de légères modifications : hypermarché devient hipermercado, supérette devient superette (Il faut dire que ce terme en espagnol fait allusion à une chaîne d’établissements disparus à présent par absorption d’un autre groupe. Ils s’accordaient par leurs caractéristiques au concept français mais, en fait, leur dénomination en espagnol correspondait à une marque déterminée et non à un type d’établissement).

Société (commerciale) se dit en espagnol sociedad (comercial.)

Dans une perspective linguistique et dans le but d’illustrer quelques affirmations exprimées lors de notre conclusion, nous allons exposer quelques détails curieux et non sans intérêt à notre avis. Pour ce faire, nous avons groupé d’une façon flexible, loin de toute rigueur de systématisation, et seulement dans un effort de synthèse, quelques phénomènes qui nous ont paru intéressants. En voici quelques uns :

* Pour commencer, le bien connu "marketing", mercatique en français, par rapport à l’espagnol produit un phénomène de polysémie. Selon le contexte, ce terme peut avoir en espagnol les équivalents suivants : política de mercados / comercialización / técnicas de ccmercialización / estudio de mercados / mercadotecnia (Le Diccionario de la Real Academia recueille ce dernier terme dans son édition de 1991). Dans ce domaine, "marketing mix", qui donne en français marchéage, trouve en espagnol l’expression mercadotecnia adaptada ;

"Joint venture" : coentreprise. En espagnol, empresas concertadas, cuentas en participación, asociación de capitales, sociedad temporal (Nous avons trouvé dans un travail récent de recherche l’emploi de entreprises conjointes véhiculant ce concept. Facilement l’espagnol adopterait empresas conjuntas).

* Très souvent, il n’y a pas d’équivalent espagnol, il faut une locution espagnole pour traduire ces termes anglais, ce qui rend plus difficile d’éviter le barbarisme. Ce fait se répète pour la plupart des cas, obligeant à faire recours à de longs syntagmes assez complexes. En voici quelque exemples :

"Factory outlet", traduit en français par magasin d’usine, donne en espagnol gestión de envases y embalajes ;

"Spot credit", pour lequel on a créé le terme crédit ponctuel, trouve son équivalent espagnol dans l’expression crédito a interés variable (L’influence réciproque des langues espagnole/française ressort ici nettement. Pour ce qui est de l’influence du français sur l’espagnol, nous pouvons constater qu’elle s’est produite une fois de plus avec l’emploi de la préposition à dans cette expression. La préposition correspondante espagnole con ne serait guère employée dans l’usage courant. D’autre part, la connotation apportée ici par la préposition ne manque pas d’importance. C’est bien la forme "a" que le sens du syntagme demande).

"Royalty", en français redevance, donne en espagnol derecho de propiedad industrial ;

"Holding", dont l’équivalent français est tenante, donne en espagnol, si on se borne à une tâche de transcodage, un mot fort ambigu conglomerado, ce terme ne s’appliquant guère qu’à des concepts matériels. Or, dans le domaine de la banque c’est l’expression Sociedad Financiera de Participaciones qui est l’équivalent correct employé (Le Diccionario de la Real Academia Española définit le terme conglomerado comme "Acción y efecto de conglomerar o conglomerarse" et pour le verbe "conglomerar": "Unir o agrupar fragmentos o corpúsculos de una misma o de diversas sustancias con tal coherencia, que resulte una masa compacta". Il est employé en Botanique : "flores conglomeradas", pour un succédané du bois: "tablero conglomerado". Le dictionnaire Maria Moliner en élargit le sens et arrive à l’appliquer à des choses immatérielles : "un conglomerado de intereses").

* Parfois et même très souvent, le terme espagnol suit de près l’expression française, ou l’inverse. Les calques sont donc très fréquents, comme d’ailleurs cela arrive très fréquemment dans d’autres domaines de la langue. Nous n’en donnons que ces exemples :

"Venture capital" ou capital risque trouve très facilement en espagnol l’expression capital riesgo déjà commentée ci-dessus.

De même, "cash-flow", en français capacité d’autofinancement, donne en espagnol capacidad de autofinanciación (Il faut dire que ce terme anglais a plusieurs équivalents en espagnol, selon le contexte, ce qui prouve la flexibilité et la richesse en nuances de cette langue, par exemple, flujo de caja, capital disponible).

* Le phénomène le plus curieux se donne dans quelques expressions métaphoriques, surtout dans le domaine de la banque et de la bourse. En voici quelques exemples déjà vus dans ce travail, hors de cette perspective :

"Raider" a été adapté en français comme attaquant et en espagnol on emploie le mot tiburón (Mais il est bien connu que l’équivalent français de ce mot est requin. Le Dictionnaire Maria Moliner enregistre cette acception dans les termes suivants : "se dice de una persona ambiciosa y aprovechada", de même qu’en français, à partir du XIXème siècle, on dit requin d’une "personne cupide et impitoyable en affaires").

"White knight" a été remplacé en français, comme nous l’avons vu ci-dessus, par chevalier blanc et en ce cas l’espagnol s'éloigne de la tendance au calque créant l’expression contra-OPA.

"Black knight", ou chevalier noir en français, donne encore l’occasion en espagnol de créer une expression vigoureuse, lanzador de OPA hostil.

* Parfois, on s’affronte à la difficulté de trouver un équivalent espagnol quand le concept dont il s’agit n’existe pas ou n’est pas répandu dans cette langue. Ainsi, par exemple, l’anglicisme "trading room", pour lequel on a créé en français l’équivalent salle de marchés, renvoie à un concept non répandu en espagnol. On peut très aisément dire sala de mercados, mais cette expression n’évoque rien et reste un peu curieuse.

CONCLUSION :

Je vais me borner à énoncer quelques conclusions de l’étude en cours de réalisation, longue et laborieuse sans doute, en quête de la recherche d’équivalents espagnols :

* Cette recherche demande un travail minutieux. Il ne suffit pas de compulser les articles de la presse spécialisée, mais aussi de la presse quotidienne, des hebdomadaires de grande diffusion.

* Il ne suffit pas non plus de chercher les équivalents dans une approche empirique, théorique ; par contre :

- il s’avère nécessaire de mener une enquête auprès des spécialistes, professeurs et chercheurs, de chaque domaine afin de trouver les termes qu’ils emploient en fait. Autrement, il y a le risque de donner des termes artificiels ou inusités, même s’ils figurent dans les dictionnaires.

- cette recherche doit, à notre avis, être menée aussi auprès des entrepreneurs, chefs d’entreprise, cadres et professionnels des domaines concernés. (Et c’est ce que nous sommes en train de faire).

* Il existe une difficulté pour l’emploi des équivalents espagnols, ce qui entraîne toujours un risque d’emploi du terme étranger : nous pensons à la longueur des expressions. Ce qui constitue un seul mot en anglais devient un syntagme, parfois de trois, quatre, ou plus, éléments, en langue espagnole. Les tournures trop longues dans la langue d’arrivée incitent l’usager à privilégier l’emploi du terme étranger : paresse, économie de temps, snobisme ? À la sociologie linguistique d’en fournir la réponse.

* La plupart des termes travaillés peuvent être considérés pour le moment comme des emprunts de l’anglais, étant donné la généralisation de leur emploi.

* Le français, et l’espagnol davantage, offrent des diversités syntagmatiques pour des concepts voisins dépendant du contexte. On pourrait parler d’une abondance, d’une richesse terminologique en faveur de ces langues par rapport à l’anglais.

* Nous avons trouvé des obstacles considérables dans ce parcours avant d’aboutir à des résultats satisfaisants. Par exemple, les intervenants ont du mal à se prononcer sur "ce que l’on dit" et sur "ce que l’on devrait dire". Mais cette réflexion les amène à la conclusion suivante : pour la bonne compréhension scientifique et l’établissement aisé des rapports humains et commerciaux, pour la propre clarté des concepts, il faut préciser clairement les termes qui les véhiculent, les unités linguistiques dont ils constituent le support.

* Motiver ces usagers de la langue, leur faire découvrir le côté passionnant et pratique de cette démarche parce qu’elle aboutit à favoriser la clarté des concepts et, par conséquent, des messages, c’est là un atout qui mérite bien l’investissement de nos efforts. Cela dit, nous sommes de surcroît guidés par un but essentiel : celui de contribuer, même dans une faible mesure, il est vrai, à l’enrichissement, à la clarté et à la beauté de notre langue.

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