Témoignage de Jean Marcel LAUGINIE
Président de l'APFA


Séminaire international EDIFACT/ONU et terminologie multilingue de mars 1993 à Genève


Atelier : "GRAND TÉMOIN"

SENSIBILISATION DES ENTREPRISES À LA TERMINOLOGIE

Je vous remercie de m'accueillir en tant que témoin.

Quelles sont les sources de mon témoignage ?

- La position des membres et des sympathisants de l'APFA.

Ils sont passés d'une dizaine lors de la création de I'APFA en 1984 à 500 en 1987, à 950 en 1990 et à 1377 début janvier 1993.

Cette position découle du courrier reçu, des appels téléphoniques, des Journées du français des affaires, de l'intérêt pour les "700 mots d'aujourd'hui pour les affaires" (nous en sommes déjà à la 6ème édition à 6000 exemplaires par an), des candidats et des lauréats pour les Mots d'Or et de la très forte demande pour notre nouvelle publication "70 mots-clefs des affaires en 20 langues" prévue pour septembre prochain, publication qui va dans le sens des souhaits exprimés il y a un instant par le Président WALKER.

Ces témoignages viennent de tous les continents, et notamment du Canada, des États-Unis, d'Angleterre, d'Australie.

- Mes analyses liées à la publication et à la mise à jour d'ouvrages sur l'économie d'entreprise et l'action commerciale.

- Une enquête conduite auprès de 188 entreprises exportatrices en 1985.

- Une autre enquête conduite en 1988 au Canada, au Québec, en Belgique, en Suisse et en France.

- La place de la préoccupation terminologique dans les pages économiques des quotidiens et des hebdomadaires et d'une façon générale dans les médias.

Une question préalable : l'entreprise est-elle sensibilisée à la terminologie ?

- Il y a 22 ans, un noyau très convaincu a été à l'origine de la 1ère commission ministérielle de terminologie entraînée par François PERROUX et Jean FOURASTIÉ.

- ,À la fin des années 70, ce noyau avait grossi.

- Il y a 10 ans, les événements terminologiques commençaient à intéresser de plus en plus d'entreprises, de journalistes d'entreprise, de médias et le grand public, sans oublier le corps enseignant, présent dès le début.

- Aujourd'hui, ce mouvement ne cesse de s'amplifier.

- Demain, la nécessité pour chaque entreprise "d'avoir une langue bien faite" sera une évidence communément admise. C'est une tendance lourde de toute prospective européenne et mondiale.

Pourquoi cette sensibilisation de l'entreprise aux problèmes terminologiques est-elle de plus en plus nette, de plus en plus forte ?

Les causes sont nombreuses.

On peut les regrouper, sans vouloir être exhaustif, en quelques points :

1. Des causes sont liées à l'évolution interne des entreprises :

- Les nouvelles techniques managériales depuis les années 80 centrées sur la recherche de l'excellence et sur la conscience mercatique de l'entreprise. C'est cette forte mercatique entrepreneuriale qui irrigue la plupart des entreprises ; elle est fondée sur un ensemble de valeurs partagées :

- qui dit "mercatique", dit écoute et réponse adaptée à cette écoute : la langue est présente ;

- qui dit "valeurs partagées", dit compréhension mutuelle des valeurs, et là aussi la langue est présente ;

- comment écouter, comment se comprendre si la langue est ésotérique ?

- Autre cause : l'apparition du paradigme de culture d'entreprise  : question de langue, là encore.

- Relève aussi de cette première catégorie  : l'engouement pour le projet d'entreprise, qui est une volonté de compréhension par tous de la planification de l'entreprise, de la démarche prospective.

2. D'autres causes sont liées à l'évolution externe des entreprises :

L'entreprise n'est qu'un ensemble particulier en relation avec de multiples ensembles qualifiés d'ENVIRONNEMENT :

- l'ensemble des clients distinct de l'ensemble des consommateurs, avec la naissance des "services consommateurs ;

- l'ensemble des fournisseurs, des sociétaires, des médias, des collectivités locales, ... avec le rôle de la direction de la communication.

Ces relations avec ces ensembles se fondent d'abord sur une langue : rappelons le cas type bien connu d'IBM qui, arrivant en France en 1954, s'est adressé à un professeur de linguistique à la Sorbonne, le Professeur Jacques Perret, pour lui demander de rechercher un équivalent à "COMPUTER". IBM n'imaginait pas un instant d'aborder le marché français avec ce terme là. ORDiNATEUR a été proposé et IBM, dans sa grande sagesse, l'a retenu.

3. D'autres causes sont liées à l'évolution de la société en Eénéral. Nous retiendrons deux dimensions de cette évolution :

La place et le rôle des médias

La puissance d'information et de communication des médias dessaisit les spécialistes, les cercles d'initiés de la propriété de leurs mots, de leurs termes : il y a une transmission de plus en plus rapide des termes spécialisés vers le grand public. D'où un effet de retour vers l'entreprise : ces termes doivent pouvoir être compris, doivent être accessibles au public dans chaque culture.

La pleine ouverture des systèmes éducatifs à l'entreprise, et cela dès le collège pour l'Éducation nationale en France (vers 11/12 ans).

Les concepts nouveaux et les concepts de base de l'entreprise doivent être compris par les jeunes, d'abord à partir des mots qui les portent ; cela entraîne 2 conditions ,:

- que ces mots soient en accord avec chaque culture,
- qu'une pédagogie des mots nouveaux soit élaborée.

La responsabilité est double : l'entreprise et le monde éducatif sont impliqués.

4. Enfin, je crois qu'il y a un ensemble de causes liées à la crise économique

- L'impératif incontournable, absolu, d'efficacité oblige toute entreprise à renoncer aux formulations ambigues, floues.

Tout le monde a présent à la mémoire le célèbre exemple de ce pauvre "marketing" qui a signifié le tout et son contraire : l'écoute du client et la pression sur le client, pour arriver jusqu'au récent ",marketing guerrier", alors que la MERCATIQUE pour la France ou encore la MERCADOTECNIA pour l'Espagne seront toujours à l'écoute et au service.

Ce luxe de l'à peu près. du contre-sens, est révolu : l'entreprise pour être efficace doit "parler vrai", et "parler vrai", en entreprise, c'est d'abord s'exprimer dans une langue bien faite, dans la langue de l'autre, premier respect dû au client.

Cet impératif d'efficacité conduit dans les relations contractuelles à renoncer rapidement à une tierce langue (dès que sont épuisées les possibilités bien pratiques de la langue véhiculaire) pour traiter dans la langue de l'acheteur : que de litiges évités ainsi ! Nous renvoyons à la remarquable proposition de Philippe GINESTIÉ, Avocat à Paris, lors de la 3ème Journée du français des affaires.

DONC : un ensemble de causes qui expliquent cette forte sensibilité de l'entreprise d'aujourd'hui et de demain aux problèmes de terminologie. Faut-il ajouter en conclusion que les entreprises commencent à être persuadées que l'Europe sera multilingue et a fortiori les autres grands ensembles économiques mondiaux ?

Comment cette sensibilisation aux problèmes terminologiques s'exprime-t­elle ?

d'une phrase : "Tout élément de communication doit être immédiatement accessible au plus grand nombre (personnel, clients, fournisseurs, grand public, élèves, étudiants, enseignants, médias...)&qupot;

Voyons des applications :

dans le projet d'entreprise : cette préoccupation est souvent exprimée.

dans la rédaction des contrats de travail, des contrats commerciaux (pour les conditions générales de vente)

Développons ici le cas des CIV (les "incoterms" anglais). La tentative dans la nouvelle version de 1990 d'imposer des sigles compréhensibles dans une seule langue, l'anglais, a vite échoué : il n'était pas question de renoncer à FAB pour FOB ou encore à CAF pour CIF, d'autant que cela allait à l'encontre des arrêtés de terminologie parus au Journal Officiel et des usages bien établis par la Direction générale des douanes.

dans les notices d'emploi. Les services de traduction des entreprises sont mis à contribution ainsi que l'APFA et les Pouvoirs Publics (DGLF).

dans l'EDI, nous y voilà. Les exemples sont nombreux. On vient déjà de les aborder avec les CIV.

Je veux saluer votre volonté d'élaborer des codes immédiatement accessibles dans chaque langue, dans chaque culture. Sur le document que vous avez eu l'obligeance de me transmettre il y a un mois, nous avons commencé à travailler. Voilà des exemples :

p. 55 : les codes pour la vente doivent commencer par V et non par S
p. 58 : les codes pour les poids : P et non W
p. 139 : mettre DRA pour droit d'auteur et non CPY, mettre PRA pour prime d'assurance et non INS

On peut faire les mêmes remarques pour les pages suivantes : 140 (NET - REN - VAT), 148 (F0), 150 (BK); 160 (CAL); 164 (QC) ; 204 (CVD) ; 205 (VAT), 243 (JMF), 256 (FAB), 273 (BS).

CONCLUSION

- L'entreprise n'est pas philanthrope. Ce n'est pas sa fonction.

- Elle doit satisfaire les besoins avec efficacité : l'efficacité, dans un monde de la communication, passe par la maîtrise et la pratique des mots, des sigles, des acronymes, des codes : pour éviter les incompréhensions, les ambiguïtés, les attitudes de domination d'un autre temps ; pour être immergé en permanence au sein des cultures économiques, pour les enrichir de leur diversité, condition de leur densité et de leur pérennité.

- J'ai consulté la banque de données de l'APFA hier soir :

- à Claire CAMBOURS : la banque de données m'a rappelé que je devais lui remettre lors de notre première rencontre, et c'est aujourd'hui, le diplôme de 1989 pour saluer son intérêt pour la terminologie ;

- à Malcom WILLIAMS : la banque de données m'a rappelé aussi que je devais lui remettre la médaille "LE MOT D'OR" au titre de 1990, lors de notre première rencontre (médaille quérable et non portable).

Ce que je fais avec un immense bonheur.

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