14 OCTOBRE 1994 - LE HAVRE

SECONDES JOURNÉES INTERNATIONALES DE TERMINOLOGIE

Organisées par l'Association Européenne des Linguistes et des Professeurs de Langues (AELPL),
le Centre d'Études et de Recherches Terminologiques Inter-Langues (CERTIL)
et le Centre de Terminologie et de Néologie (CTN).

Jean Pierre Attal (AELPL), Elba Bohórquez (CERTIL) et John Humbley (CTN)

Faculté des Affaires Internationales - Université du Havre.

PROGRAMME

LES ENTREPRISES, LES CENTRES DE RECHERCHES ET LES UNIVERSITÉS FACE AUX DIVERSITÉS TERMINOLOGIQUES

VENDREDI 14 OCTOBRE 1994

Projets et réalisations terminologiques des entreprises

Table ronde I
Présidente : Elba Bohórquez

Anne Guyon (DISTB, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche)

La prise en charge de la production terminologique par les entreprises

Jean Marcel Lauginie (APFA, Action pour Promouvoir le Français des Affaires)

70 mots-clefs des affaires en 20 langues

Christiane Legris-Desportes et Pascale Terracol-Capron (Direction des Études et Recherches d'EDF)

Une approche sociolinguistique préalable à la constitution d'une base de données terminologiques destinée aux services commerciaux d'EDF

Véronique Alory (Direction des Études et Recherches d'EDF)

Constitution d'une base de données terminologiques unilingue


INTERVENTION DE JEAN MARCEL LAUGINIE

70 mots-clefs des affaires en 20 langues

Merci à Elba Bohórquez pour son invitation.

Je dois vous présenter l'histoire d'une création, l'histoire d'une réussite.

Ce nouvel "accordéon en carton glacé" (si bien surnommé par Jean-Patrick BOUTET sur FRANCE-INFO) "70 MOTS-CLEFS DES AFFAIRES EN 20 LANGUES", d'où vient-il, où va-t-il ? ou bien encore : pourquoi ce nouveau produit ? Comment a-t-il été réalisé ? Quels choix méthodologiques mais aussi quels choix très concrets a-t-il provoqués ? Quel avenir, c'est-à-dire quel cycle de vie ?

I - POURQUOI UNE LISTE MULTINLINGUE POUR L'HOMME D'AFFAIRES, POUR L'APPRENANT, POUR LE GRAND PUBLIC ?

Je vous propose 2 explications :

- l'une liée à ce que nous sommes, à nos objectifs ;
- l'autre liée à l'évolution de l'entreprise, à l'évolution sociétale, à l'évolution de la société.

A - Raisons liées à l'APFA ("Actions pour promouvoir le français des affaires", association sous le régime de la loi de 1901)

Dès sa création en 1984, l'objectif de l'APFA était de faire connaître, faire apprécier les mots nouveaux nécessaires :

a - Auprès du grand public, des médias et des entreprises.

Il a fallu 3 ans pour créer ce premier accordéon en carton glacé "700 MOTS D'AUJOURD'HUI POUR LES AFFAIRES". La 6ème édition vient de sortir  à chaque édition, nous remplaçons 60 à 80 mots, ce qui montre la richesse de la vie des mots, de la vie terminologique dans les entreprises.

b - Auprès des jeunes en formation en saluant leur goût pour les mots.

Il s'agissait d'émettre un signe de reconnaissance vers eux :

- Ce fut en 1988, la 1ère Coupe du français des affaires devenue, en 1989, la Coupe francophone du français des affaires avec la participation de 3 pays ; puis, en 1990, des candidats francisants de Bulgarie, d'Allemagne, d'Italie , d'Espagne se sont inscrits ; il fallait une appellation de synthèse pour la Coupe francophone des affaires et la Coupe du français des affaires (pour les candidats francisants) : ce fut LE MOT D' OR ; cette année, en 1994, il y a eu 31 584 participants et 4 300 lauréats dans 19 pays.

- Cette évolution a entraîné une évolution du sujet pour l'épreuve qui dure 1 heure, le 3ème mardi de mars (semaine de l'anniversaire de la création de l'ACCT) : pour les candidats francisants, le sujet avec des termes franglais pour la plupart ne convenait pas ; d'où un sujet spécial pour ces candidats : les néologismes français (correspondant aux termes franglais ou impropres) sont en gras dans le texte et le candidat doit proposer un équivalent dans sa langue maternelle (les 3 autres parties étaient identiques : termes relatifs à des définitions actuelles, appel à l'imagination pour nommer de nouvelles techniques tertiaires, expression du goût pour entreprendre).

Et c'est ainsi qu'est née l'idée d'une liste de termes dont la vocation était de montrer que chaque langue était capable, ou devrait être capable, de traduire les nouvelles techniques tertiaires, les nouveaux concepts des affaires.

B - Raisons liées à l'évolution de l'entreprise.

La naissance d'une conscience mercatique de l'entreprise
(pour reprendre l'expression de Peter F. DRUCKER).

C'est l'écoute attentive et rigoureuse des besoins exprimés par les différentes publics et l'entreprise.

L'émergence du paradigme de la culture d'entreprise.

L'histoire de l'entreprise, ses valeurs, sa finalité particulière ne peuvent plus être ignorées par tout interlocuteur qui recherche une relation durable.

L'examen de ces 2 raisons montre qu'il s'agit d'abord de respecter l'autre, et le premier des respects est de s'exprimer dans sa langue, la langue de l'autre (la langue du client, du prospecté, du prescripteur, du consommateur...) Rappelons l'histoire bien connue, souvent racontée par Alfred Sauvy : le recours à une tierce langue entre un Français et un Espagnol pour traiter un marché alors qu'ils découvrirent à la tin de l'entretien qu'ils étaient hispanisant et francisant !

D'où l'idée d'inciter, non à un vague et illusoire plurilinguisme, mais à un rigoureux alterlinguisme (néologisme créé par Loïc Depecker). Une conséquence pratique est encore cette liste de termes.

C - Un nouvel objectif pour I'APFA.

Ainsi dès 1991, l'APFA se donnait un nouvel objectif :

"Montrer que chaque langue est susceptible de traduire avec son génie propre les termes du monde des affaires"

Notons que la tierce langue ne peut être qu'outil de transition : prenons le cas de "raider" pour attaquant et de  marketing guerrier  pour la mercatique qui ne peut être, par sa définition même, que paisible et au service.

II - COMMENT A-T-ON CRÉÉ CETTE LISTE MULTILINGUE ?

A - En s'imposant 3 contraintes :

- Liste expérimentale donc évolutive
- Liste exigeante en refusant pour chaque pays la tierce langue (anglaise ou japonaise !)
- Liste pédagogique en incitant à créer (en ménageant des blancs)

Sur cette triple base, nous allons répondre à une série de questions :

Quels MOTS ? Quelles LANGUES ? Quels AUTEURS ? Quelle MÉTHODE ?

B - Quels mots retenir ?

Un double problème : quantitatif et qualitatif.

J'ai retrouvé les premières ébauches, les premiers projets :

12 février 1990 : "100 mots en 7 langues"
28 août 1990 : "70 mots en 14 langues"
16 novembre 1990 : "70 mots en 16 langues"
25 juillet 1991 : "70 mots en 17 langues".

Pourquoi 70 mots ?

C'est la contrainte du format de "l'accordéon en papier glacé" : 35 mots par face.

Quels mots ? pourquoi celui-là et pas celui-ci ?

- Nous nous sommes imposé une règle : 1/3 de termes de pointe au moins.
- Selon les acceptions, on en dénombre jusqu'à 35, soit la moitié.

C - Quelles langues ?

a - Problème quantitatif.

Le nombre de mots a été stabilisé dès 1990.

Par contre le nombre de langues a continué à croître.

En 1992, il est passé à 18 langues pour se stabiliser, fin 1992, à 20 langues.

Pourquoi ?

C'est la relation entre le nombre de langues et le coût d'édition.
9 volets donnaient 18 langues pour un prix de vente de 20 frs.
Or le prix psychologique est entre 15 et 25 frs.
On a donc ajouté un volet, soit 2 langues et le prix public est de 25 frs (15 frs pour les Membres de l'APFA, cotisation : 50 frs)

b - Problème qualitatif.

Ont été retenues les langues de l'Espace économique européen, de l'Europe centrale et orientale, d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie : ce qui donne la liste actuelle.

La 1ère édition (décembre 93) a été épuisée dès mars 94.

La 2ème édition (avril 94) a permis de supprimer les inévitables coquilles.

Pour la 3ème édition, on fait une étude de coût marginal car il faudrait 6 autres langues : finnois (en raison de l'extension de l'Espace économique européen), norvégien, islandais, turc, hébreu et hindi.

Ce projet de 26 langues est donc lié au coût de 3 volets supplémentaires.

D - Quels auteurs ?

Soit, on s'adressait à des organismes officiels pour chaque pays.
Soit, on s'adressait à des personnes passionnées, très motivées dans chaque pays, avec l'autorité morale bien sûr de la Délégation générale à la langue française.
Le premier choix a été écarté pour des impératifs de temps (sauf pour l'Ambassade du Vietnam).
Nous nous sommes donc adressés à des personnes de chaque pays, membres de l'APFA ou sympathisantes, car il fallait montrer la voie, "se jeter à l'eau".
L'enthousiasme a été immédiat (il s'agit d'un total bénévolat). Une seule difficulté : l'auteur japonais n'a pas souhaité que son nom figure dans la préface.
Ainsi, 34 auteurs, 34 observateurs de la langue, 34 veilleurs terminologiques ont créé cet accordéon qui fait chanter les langues entre elles.

E - Quelle méthode ?

a - Quelle base ?

Pour la moitié des mots, pour les 35 néologismes, la base est anglaise, bien sûr ; mais dans un souci de cohérence, la base retenue pour l'ensemble des 70 mots est française.

b - Quelle écriture ?

Signes et graphies propres à chaque pays ou alphabet international ?

La cohérence de cette édition n'est pas totale ; l'objectif de cette mercatique terminologique étant d'être au service de chaque pays, la 3ème édition retiendra la seule graphie propre à chaque pays (il en ira ainsi pour la langue russe par exemple).

c - Le problème du collationnement.

C'est-à-dire de la biunivocité de la relation d'équivalence.
Pour des raisons de temps et de coût, ce problème n'a été traité qu'empiriquement et non scientifiquement.

III - CONCLUSION

Cet accordéon en carton glacé veut être un modeste outil au service d'une politique linguistique fondée sur la prise en compte par chaque langue maternelle de la modernité et sur le développement d'un alterlinguisme heureusement inévitable ; en accélérer sa venue ne pourra qu'être bénéfique : ces "70 mots en 20 langues" ont vocation à y participer ; ils ne sont que dans la première phase d'un cycle de vie qui s'annonce fort long.

Merci de votre attention.

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