Une dictée francophone pour voyager

Une trentaine d'associations ont organisé cette dictée destinée à voyager dans la Francophonie et à participer à une action de solidarité avec l'Adiflor.

les lauréats de Besançon



La dictée

Après le foehn, le joran soufflait dans la campagne vaudoise et il s'était mis à roiller. Alexandre avait dû quitter le bois de fayards pour se réfugier près d'une auberge. Mais la cheneau était ébriquée et une gouille lui mouillait les pieds. Il poussa le péclet de la porte et entra. Un régent y sermonnait deux bobets qui frouillaient à l'envi aux cartes et s'étaient ri de ses reproches. Des pives brûlaient dans l'âtre. Des greubons, oubliés dans un caquelon, s'étaient calcinés. Pour se rapicoler, il commanda une demi-cruche de bourru dont la manoille ébréchée lui égratigna les nilles. Il en but une golée et acheta des rissoles dans un cornet. Il se sentait mollachon et pas assez vigousse pour pitater encore. D'ailleurs, il devait souper sur l'autre rive du Léman. Étaient prévus au menu des diots à la polente, des longeoles aux crozets ou des féras farcies accompagnées de rampon.

Alexandre passa ensuite quelque temps à la Réunion. Après une randonnée harassante dans les îlets d'un cirque et un bain dans le bassin d'une ravine, il redescendit par une route cabossée par les avalasses de l'hivernage. Il traversa une zone d'avocatiers marrons, puis des vergers de letchis, de longanis et de palmistes. Il longea une case entourée d'une varangue. Un margouillat dormait sur le mur. Des poules cacaillaient. Une jolie Cafrine ramassait des mangues mûres qu'elle s'était plu à sabouler. Un chat vint lui graffiner les mollets et lui faire des ecchymoses. Des marmailles qui battaient la boule s'arrêtèrent pour le louquer. Une femme sortit de la case pour taquer le barreau de la cour et demander à ses enfants de venir s'asseoir au manger, après leur avoir annoncé un cari aux brèdes de chouchou dont on sentait les effluves parfumés. Alexandre se hâta. Un ami l'attendait au Québec et il craignait que l'avion ne décollât sans lui.

Il voyagea à côté d'un mulâtre aux yeux de jais, très sentencieux et affligé d'une voix de rogomme, qui le soûla d'aphorismes obscurs et d'arguties embrouillées. Il retrouva son ami, un gars de bois aux cheveux carotte qui aimait chasser le garrot et, de surcroît, callait l'orignal comme pas un, en train de cueillir des girolles dans une bleuetière. Sur ces entrefaites, et quelle que fût sa curiosité, un suisse, dont les flancs avaient des reflets acajou, se garrocha vers des halliers avec une plainte aiguë tandis que des pipits d'Amérique et des passerins indigo s'envolaient en catimini d'une épinette. La faim les conduisit dans une binerie dont la salle à dîner était emboucanée et où on leur servit des fèves au lard et une beurrée au sirop de poteau qu'Alexandre mit aux vidanges.

Remarque : "soûla" peut s'écrire également "saoula".

Jean-Marc CHEVROT (APFA-Les Mots d'Or)

Remarques sur à la prononciation de certains mots


foehn : son eu fermé (comme dans "peu")
roiller : ro - yer (son o ouvert comme dans "bol")
cheneau : ch'no
manoille : comme "boy"
nille : comme "fille"
diots : son o fermé (comme dans "dos")
polente : comme "plainte"
longeole : comme "geôle"
bleuetière : bleu - e - tière

Le lexique

Suisse romande

Foehn : vent du sud chaud et sec.
Joran : vent d'orage soudain et violent qui souffle du nord-ouest sur le lac Léman.
Roiller : pleuvoir à verse.
Fayard (ou foyard) : hêtre.
Cheneau (n. f.) : gouttière. Ce mot a donné en français parisien chéneau (qui est masculin).
Ébriquer : casser.
Gouille : flaque d'eau.
Péclet : loquet (d'une porte).
Régent : maître d'école.
Bobet : nigaud, niais.
Frouiller : tricher.
Pive : cône d'épicéa, de sapin, ou d'autres conifères (du latin pipa).
Greubons : petits résidus solides de la fonte du lard.
Caquelon : Poêlon en fonte émaillée, utilisé en particulier pour préparer la fondue.
Rapicoler : ravigoter, redonner de la force.
Bourru : jus de raisin frais en cours de fermentation.
Manoille : poignée d´un ustensile, anse d´un pot ou d´une tasse (du latin manualis).
Nilles : articulations des doigts.
Golée : gorgée (du latin gula).
Rissole : petit chausson garni d´une farce sucrée aux poires avec raisins et épices.
Cornet : sac d'emballage en papier (ou en plastique).
Mollachon (ou mollachu) : mou, sans énergie.
Vigousse : vigoureux.
Pitater : marcher rapidement et beaucoup.
Souper : dîner.
Diot (Savoie) : petite saucisse aux choux.
Polente (Savoie) : semoule de maïs cuite dans un bouillon (de l'italien polenta).
Longeole (Savoie et Genève) : saucisse faite avec des tripes, de la chair et de la couenne de porc, parfumée au cumin.
Crozets (Savoie) : petites pâtes, fabriquées à partir de farine de blé tendre et de farine de sarrasin.
Féra (n. f.) : poisson renommé du lac Léman.
Rampon : doucette, mâche.

Île de la Réunion
Îlet : petit plateau, dominant parfois des ravines de plusieurs centaines de mètres.
Cirque : vaste dépression semi-circulaire résultant de l'effondrement d'un cône volcanique.
Bassin : étendue d'eau profonde dans une ravine ou au pied d'une cascade.
Ravine : torrent, lit raviné d'un torrent ou d'une avalasse.
Cabossé : défoncé (pour un chemin, une route).
Avalasse (ou avalace) : inondation violente causée par des pluies torrentielles.
Hivernage : Saison chaude et pluvieuse qui rend les rivières torrentueuses.
Avocatier marron : arbuste considéré comme une "peste végétale" (plante mettant en danger l'équilibre d'un écosystème fragile).
Marron, maronne (adj.) : sauvage (pour une plante ou un animal).
Letchi : litchi (grand arbre produisant des grappes de fruits rose framboise vif, au goût de raisin muscat, portant le même nom).
Longani : longane (arbre produisant des grappes de petits fruits à la peau jaune verdâtre, à saveur prononcée, portant le même nom).
Palmiste : nom générique de quatre palmiers indigènes. Le chou (bourgeon terminal) du palmiste constitue un mets très recherché.
Case : maison.
Varangue : véranda.
Margouillat : variété de gecko vivant dans les maisons.
Cacailler : caqueter.
Cafre, cafrine : Réunionnais(e) d'origine africaine.
Mangue (n. f.) : fruit du manguier.
Sabouler (ou chabouler) : lancer des pierres sur des fruits (notamment des mangues lorsqu'elles sont au sommet de l'arbre) pour les faire tomber.
Graffiner : égratigner.
Marmaille (n. m. ou f.) : enfant, écolier, adolescent (en métropole, ce nom désigne un groupe de jeunes enfants nombreux et bruyants).
Battre la boule : jouer au football de manière informelle (enfants).
Louquer : regarder à la dérobée (même étymologie que "reluquer").
Taquer : fermer (une ouverture d'une maison).
Barreau : portail (d'une cour).
S'asseoir au manger : se mettre à table.
Cari : plat qui accompagne le riz, composé de viande ou de poisson, de légumes, d'oignons, d'ail, de tomates. Le cari est à la Réunion, ce que le bifteck-frites est à la métropole.
Brèdes : feuilles comestibles.
Chouchou : plante cultivée fournissant des feuilles comestibles (brèdes), des fruits (sortes de courges appelées chayottes ou chouchoutes) et de la paille utilisée en vannerie.

Québec
Gars de bois : homme qui aime la forêt, la chasse et la pêche.
Garrot : canard plongeur.
Caller l'orignal : imiter le cri de l'élan femelle pour attirer un mâle (dont la chasse est autorisée).
Bleuetière : terrain ou abondent les bleuets (myrtilles).
Suisse ou tamia : petit écureuil roussâtre au pelage rayé.
Se garrocher vers : se précipiter vers.
Pipit d'Amérique : petit passereau d'Amérique du Nord.
Passerin indigo : idem.
Épinette : épicéa.
Binerie : restaurant populaire dont la nourriture est bon marché.
Salle à dîner : salle à manger.
Emboucanée : enfumée.
Fèves au lard : haricots sec cuits au four avec du lard salé, de la mélasse et des épices.
Beurrée : tartine de pain recouverte de beurre et de confiture, de miel...
Sirop de poteau : mauvais ou faux sirop d'érable (fabriqué avec de la cassonade).
Mettre aux vidanges : jeter (vidanges = ordures ménagères).

(France-Québec Magazine, n° 127, Printemps 2003)

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