Succès croissant de la dictée

Indéniablement, d’une année sur l’autre, l’idée de faire une dictée francophone durant la semaine de la Francophonie fait du chemin ! Pour sa quatrième année d’existence, la dictée a fait des progrès en nombre. Ce sont 31 associations régionales qui, cette année, ont décidé de participer à ce grand concours dont la vertu première est moins de vérifier la connaissance des candidats en orthographe que de faire découvrir la richesse et la diversité de la langue française. Rien que sur le territoire français, le texte rédigé par notre correspondant universitaire, linguiste réputé, Jean-Marc Chevrot, a été dicté en 49 lieux différents réunissant plus de 1000 candidats dont de nombreux lycéens et étudiants, permettant de récolter pour I’ADIFLOR, à ce jour, la somme de 900 euros. Bilan encore provisoire dans l’attente des réponses de quelques régionales.

Pour la première fois, nos amis du Québec ont participé à cette dictée. L’an prochain, normalement, ce sont eux qui auront la charge de proposer un texte. Par ailleurs, il est question d’obtenir le soutien de RFI pour la lecture sur les ondes de la dictée. Enfin, soulignons le parrainage que le ministère de la Francophonie, à la tête duquel se trouvait alors Pierre-André Wiltzer, a accordé à cette activité. Notons enfin, la performance d’Alsace-Québec qui avec la participation d’Air France, a pu attribuer un billet d’avion pour Montréal à la lauréate de sa régionale. De nombreuses autres régionales avaient aussi prévu des cadeaux pour les lauréats et, après l’épreuve, un repas ou un "pot de l’amitié".

Le succès grandissant de cette opération a sa rançon : face aux difficultés rencontrées dans la dictée, une polémique, preuve de l’intérêt suscité, est apparue. On peut regrouper les réactions en deux groupes :

- pour certains, dont nos amis du Québec, le texte était trop difficile. Il est vrai que la particularité de notre dictée francophone est de faire appel à des expressions et à des termes de diverses régions de l’espace francophone et que ceux-ci sont mal connus hors de la région de leur utilisation. On peut envisager d’en mettre moins mais il importe de garder un certain degré de difficultés, condition de l’intérêt et de l’originalité de notre dictée ;

- pour d’autres, la bonne orthographe de certains termes et expressions était discutable. Après vérification, il est apparu que les dictionnaires n’étaient pas toujours d’accord. Dans ces cas-là, il a été décidé de ne pas compter de faute. Le mot ébène de son côté cachait bien des surprises: il est féminin pour désigner le bois d’ébène en ébénisterie et masculin pour désigner l’arbre ! Nous avons été nombreux à l’apprendre avec cette dictée.

En conclusion, une saine polémique qui nous conseille d’être encore plus attentifs la prochaine fois mais qui est très encourageante dans la mesure où cette activité est en train de faire naître de véritables passions pour notre langue et sa richesse. De belles joutes orthographiques en perspective !

À Dijon, le rectorat, l‘Alliance française mobilisés pour la dictée avec Bourgogne-Québec

Le président de France-Québec, Jean-Michel Hercourt, a présenté la dictée dans six classes de la région d’Annemasse.

En Vendée, la dictée a été faite dans deux écoles et... un établissement industriel.

Dans les Yvelines, la dictée, dans une école de Mantes-la-Jolie, a été lue par le directeur de la communication de la DGQ, André Sormany.

Gilbert PILLEUL

Le texte de la dictée

Voyages en francophonie

Le périple d'Alexandre commença en Auvergne où il tint à rendre visite à l'un des derniers buronniers. À la pique du jour, quoique le temps fût incertain, il laissa sa voiture sur la chaussée, franchit malaisément une narse, passa à gué une couze puis emprunta une coursière pour rejoindre, sur les flancs d'un puy, une estive où paissaient, agacées par des taons, des vaches de Salers aux cornes menaçantes. Il atteignit le buron, revêtu de lauzes. Des saint-nectaire(s), mal pliés et couverts d'artisons, trônaient sur le bassoir d'un fenestron. Une chienne étique, qu'on avait fermée dehors, s'étranglait, une arête coincée dans la corgnole. Quoi qu'il en pensât à part soi, cela lui portait peine et il appela à l'aide. On secourut la bête, qui fut fâchée puis coucounée. En badant autour de la jasserie, il imaginait celle-ci balayée en hiver par l'écir glacial et ensevelie sous la neige.

Le voyage d'Alexandre le conduisit ensuite au Gabon. En quittant l'aéroport, il parcourut une avenue tout ombragée par des badamiers et des filaos cyclopéens. Des danseurs à échasses, en pagne de raphia et aux membres enduits d'argile et tachetés de padouk, poudre extraite de la papilionacée éponyme, agitaient des sonnailles au rythme des tam-tams et des balafons. Deux jeunes filles, qui avaient quitté les bancs, vêtues de boubous orange, proposaient aux chalands des taros grillés, des ignames noires, des bédoumes sucrés et d'autres étouffe-chrétien(s), appelés ici des cale-ventre(s). Un boutiquier haoussa vendait des objets en ébène noir(e) et en ivoire végétal, ainsi que des chasse-mouches pour se protéger des mouches tsé-tsé. Au zoo, il chaussa ses lunettes vue-claire pour admirer des loups-peints, des damans des arbres, des cobes des roseaux, des guibs harnachés et des oryctéropes.

Comme tous les ans, Alexandre finit son voyage par le Québec, chez une vieille Outaouaise maganée, ancienne diseuse dont les chansons avaient été endisquées mais qui avait depuis belle lurette renoncé aux appas de la gloire et accroché ses patins. La femme avait de la jasette mais elle avait tendance à rêver en couleurs et à rabâcher, ce qui la rendait achalante malgré sa jarnigoine. Quelle que fût leur envie de sortir, ce n'était pas allable à l'érablière car il commençait à brumasser et, fatigués d'écrapoutir des bébites sur la terrasse, ils s'évachèrent sur les berçantes du vivoir et se mirent à placoter à l'envi en sirotant des diabolos menthe et en grignotant des rôties tartinées de gelée de gadelles noires. Sur la cheminée, deux harfangs naturalisés encadraient une coupe incrustée de jolis lapis-lazuli(s) et un livre relié en maroquin.

N.B. : "taon" se prononce comme "tan".

(Auteur : Jean-Marc Chevrot)

Le Lexique

Auvergne

Buronnier, n. m. : personne qui s'occupe du troupeau, de la traite et de la fabrication de la fourme (fromage) dans un buron.

À la pique du jour, loc. : à l'aube, au petit matin.

Narse, n. f. : endroit marécageux.

Couze, n. f. : nom générique des rivières torrentielles des Monts Dore et du Cézallier.

Coursière, n. f. : sentier coupant au plus court, chemin de traverse, raccourci.

Puy, n. m. : montagne (volcanique le plus souvent).

Estive, n. f. : pâturage d'été en montagne.

Vache de Salers, ou plus simplement salers (n. f.) : vache de grande taille, à la robe acajou, aux grandes cornes en forme de lyre, appelée aussi "bourrette" à cause de son poil long et bourru, réputée pour sa rusticité et son adaptation au climat rude et au sol pauvre, et pour son aptitude laitière élevée. C'est une excellente mère (ce qui peut la rendre dangereuse). Le berceau de la race est autour de la commune de Salers. Le salers (n. m.) est aussi un fromage.

Buron, n. m. : construction maçonnée située en montagne et servant d'habitat temporaire pendant la belle saison pour fabriquer la fourme.

Lauze, n. f. : pierre plate utilisée comme revêtement pour les toitures et dallages. On écrit parfois "lause". Le mot est utilisé des Pyrénées centrales jusqu'à la Savoie.

Saint-nectaire, n. m. : fromage à pâte mi-dure pressée non cuite, fabriqué aux alentours de Saint-Nectaire.

Plier, v. : envelopper (entourer d'un papier ou d'une étoffe pour protéger ou transporter).

Artison, n. m. : ciron (acarien du fromage). On rencontre "artaizon" en Basse-Auvergne.

Bassoir, n. m. : appui de fenêtre maçonné.

Fenestron, n. m. : petite ouverture permettant d'éclairer et d'aérer un bâtiment.

Fermer dehors, v. tr. : empêcher de pénétrer dans un lieu clos que l'on a fermé à clé. "Fermer dedans" signifie "enfermer".

Corgnole, n. f. : gosier, gorge.

Porter peine, loc. : s'inquiéter, se faire du mauvais sang.

Fâcher, v. tr. : réprimander, gronder.

Coucouner, v. tr. : dorloter, cajoler, câliner, choyer.

Bader, v. : flâner en prenant son temps pour regarder ce qui se présente à soi.

Jasserie, n. f. : buron ou hameau pastoral constitué de plusieurs burons (dans les Monts du Forez).

Écir, n. m. : vent violent et froid du nord ou du nord-ouest qui souffle en tempête et soulève la neige en tourbillons.

Gabon

Badamier, n. m. : bel arbre de la famille des combretacées, introduit au Gabon pour son ombrage et l'ornementation des jardins et des avenues.

Filao, n. m. : grand arbre à tronc droit de la famille des casuarinacées, originaire d'Océanie et introduit au Gabon pour son bois très dense, rouge sombre, et sa croissance rapide.

Raphia, n. m. : fibres et liens que l'on tire des très longues feuilles du palmier raphia.

Padouk, n. m. : Poudre rouge vif servant aux peintures corporelles des cérémonies traditionnelles. Elle est faite à partir du bois et des racines du padouk, grand arbre très commun de la famille des papilionacées dont l’épaisse écorce secrète une résine rouge sombre.

Sonnailles, n. f. pl. : instruments de musique traditionnels destinés à souligner le rythme. Ce sont, d’une part, des grelots de fabrication artisanale que les danseurs s’attachent aux poignets, aux chevilles et à la taille, d’autre part également, des sortes de hochets que brandissent les musiciens.

Tam-tam, n. m. : tambour africain. Une ou deux peaux sont tendues sur une caisse de résonance, généralement en bois. Il existe une grande diversité d’instruments portant ce nom.

Balafon, n. m. : instrument de musique à percussion qui ressemble à un xylophone et dont la caisse de résonance est constituée de calebasses évidées.

Quitter les bancs, loc. : quitter l'école, abandonner ses études.

Boubou, n. m. : vêtement féminin ample porté par les femmes (et aussi long vêtement ample porté surtout par les musulmans du nord).

Taro, n. m. : plante herbacée cultivée pour ses tubercules et ses griffes comestibles qui sont consommés cuits à l’eau ou grillés (on écrit parfois "tarot").

Igname, n. f. : plante cultivée (et sauvage) de la famille des dioscoréacées dont les gros tubercules sont consommés cuits et préparés de différentes manières. On distingue localement les tubercules en fonction de la couleur de leur chair : igname blanche, igname rougeâtre, igname violette, igname noire.

Bédoume, n. m. : sorte de gros beignet de fabrication artisanale.

Cale-ventre, n. m. : plat nourrissant et qui tient au corps.

Haoussa, n. ou adj. : terme générique désignant tout commerçant originaire de l'Afrique de l’Ouest, quelle que soit sa nationalité ou son ethnie.

Ébène, n. m. : arbre au tronc court, à rameaux grêles et glabres, à croissance très lente. Le bois de cœur, noir, compact et très dur, est recherché pour l'ébénisterie. En français standard, "ébène" est un mot féminin qui désigne le bois de l'ébénier. Le mot ébénier est désuet au Gabon.

Ivoire végétal, n. m. : corozo (matière blanche tirée de la noix d'un palmier).

Mouches tsé-tsé, n. f. pl. : diverses mouches du genre glossine qui transmettent les trypanosomiases (maladie du sommeil pour les hommes, maladie de la tsé-tsé pour les animaux).

Lunettes vue-claire, n. f. pl. : lunettes correctrices, lunettes corrigeant la vue.

Loup-peint ou plus simplement loup (n. m.) : lycaon ou cynhyène, canidé au corps svelte, à la tête massive, aux membres élancés, aux grandes oreilles rondes, au pelage marbré de noir, de blanc et de fauve, qui le rend très caractéristique. Il vit et chasse en meute.

Daman des arbres, n. m. : petit ongulé ayant la taille et la silhouette d'un lapin mais avec des oreilles courtes et arrondies et un pelage assez long et épais. Forestier, il vit en terrier, est excellent grimpeur. Il est caractérisé par son cri nocturne extrêmement fort et prolongé.

Cobe des roseaux, n. m. : petit ongulé gris brun avec une rayure verticale foncée sur le devant des pattes et des cornes annelées recourbées vers l'avant (c'est un animal qui ne s'écarte guère de l'eau).

Guib harnaché, n. m. : antilope qui a l’allure et la taille d’un chevreuil. Les cornes, chez le mâle, carénées en avant, parfois légèrement spiralées, sont noires à pointe claire. La robe est roux vif avec des marques blanches.

Oryctérope, n. m. : mammifère de la taille d’un porc, à la silhouette massive et voûtée, à la peau gris rose épaisse, au pelage clairsemé gris brun, au museau en groin, aux oreilles en cornet, à la langue vermiforme et gluante. Il est insectivore (il mange surtout des termites) et nocturne. On l'appelle aussi "cochon de terre" ou "fourmilier" (comme le tamanoir d'Amérique).

Québec

Outaouais, n. et adj. : de la région de l'Outaouais (signifie également "de la ville d'Ottawa").

Magané, adj. : fatigué, malade.

Diseuse, n. f. : chanteuse qui interprétait des chansons poétiques sur un ton déclamatoire.

Endisquer, v. : enregistrer sur disque.

Accrocher ses patins, loc. (au sens figuré) : mettre fin à sa carrière, prendre sa retraite.

Avoir de la jasette, loc. : avoir du bagou, être volubile.

Rêver en couleurs, loc. : se faire des illusions.

Achalant, adj. : énervant, irritant, déplaisant.

Jarnigoine, n. f. : intelligence, bon sens.

Ce n'est pas allable à, loc. : on ne peut pas aller à (en raison des difficultés d'accès par exemple).

Érablière, n. f. : plantation d'érables (notamment d'érables à sucre), cabane à sucre.

Brumasser, v. : bruiner.

Écrapoutir, v. : écraser.

Bébite, n. f. : insecte. On dit aussi "bebite", "bibite" ou "bibitte".

S'évacher, v. : s'affaler, se vautrer.

Berçante, n. f. : siège à bascule (chaise ou fauteuil). On dit aussi "berceuse".

Vivoir, n. m. : salle de séjour, salon. Terme un peu désuet.

Placoter, v. : bavarder, commérer.

Rôtie, n. f. : tranche de pain grillé. Le mot est également utilisé dans l'ouest de la France.

Gadelle noire, n. f. : cassis (gadelle : groseille).

Harfang (des neiges), n. m. : chouette blanche des régions arctiques. Le harfang des neiges est l'emblème aviaire officiel du Québec.

(France-Québec Magazine, n° 131 - avril - mai - juin 2004)

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