FLORILÈGE DES ENSEIGNES CALÉDONIENNES

L'Alliance Champlain, qui organise depuis 1998 le Mot d'Or en Nouvelle-Calédonie, y a également mis en place, depuis 2013, un Florilège des enseignes commerciales et artisanales rédigées en français ou en langues océaniennes du pays, ne comportant ni mots étrangers, ni anglicismes et comportant du sens. Ce Florilège a permis la publication d'une brochure réalisée avec l'aide de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, de la Chambre de Commerce et d'Industrie et de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat de la Nouvelle-Calédonie. On peut lire ci-dessous un large extrait de cette publication. On peut trouver plus d'informations et plus d'illustrations de ce "Florilège des enseignes calédoniennes" sur le site de l'Alliance Champlain

PRÉSENTATION ET REMERCIEMENTS :

Cette brochure est destinée à susciter autant l'intérêt que la réflexion non seulement en Nouvelle-Calédonie mais aussi en France. Il n'apparait pas, en effet, qu'il ait été édité un document, que ce soit en métropole ou dans ses régions ultramarines, soulignant l'importance que revêt l'enseigne dans notre vie quotidienne. Des études historiques et patrimoniales ont certes pu être faites mais à destination d'érudits ou d'amateurs d'histoire mais non d'acteurs de la vie économique. Vitrine de l'activité du commerçant et de l'artisan, le libellé de la dénomination commerciale est, en effet, d'une grande portée. On constate toutefois trop souvent que l'entrepreneur n'y attache pas tout l'intérêt requis et que fréquemment il cède à la manie des anglicismes qui dénaturent la langue française, laquelle est aussi une langue internationale du commerce et des affaires. Or, tel est l'objectif du Florilège des Enseignes calédoniennes, de distinguer celles qui préfèrent non seulement notre langue commune, mais aussi les langues océaniennes parlées dans le pays, pour vanter l'indéniable savoir faire calédonien.

L'Alliance Champlain remercie la Délégation générale à la langue française et aux langues de France ainsi que le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d'avoir aidé à la réalisation de cette publication qui devrait permettre aux commerçants et artisans de voir sous une nouvelle approche ce que représente l'enseigne. Elle remercie aussi la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Nouvelle-Calédonie ainsi que la Chambre de Métiers et de l'Artisanat d'avoir soutenu, dès son lancement, le Florilège dont le succès s'est affirmé d'année en année. À une époque où la communication est le fer de lance de tout développement commercial et artisanal, l'enseigne reste la base pour ne pas dire le point de départ incontournable de toute activité professionnelle. Sans enseigne, l'activité est invisible, inapparente et indiscernable car elle est le vecteur essentiel et incontournable de toute communication commerciale et artisanale.

Daniel MIROUX Président de l'Alliance Champlain.

QU'EST-CE QU'UNE ENSEIGNE ?

L'enseigne, de nos jours, est un panneau, souvent peint, parfois lumineux, qui est à caractère informatif, publicitaire ou décoratif (voire les trois), généralement à destination du public, portant par exemple un emblème, presque toujours une inscription (nom d'un magasin, d'une activité, d'une marque), voire un objet symbolique, apposé sur la façade du local. C'est le premier contact avec le client. C'est le signe qui renseigne le public à la fois sur l'exercice d'une profession et sur la nature d'un commerce.

Sur le plan juridique, l'enseigne est l'un des éléments incorporels du fonds de commerce. Elle est le prolongement du nom commercial. C'est la dénomination sous laquelle, en dehors du nom, qui peut d'ailleurs être le même, le commerce est exercé et connu du public, et que le commerçant ou l'artisan appose sur sa vitrine, ses voitures de livraison, ses factures...

Elle identifie un local ou un lieu d'exploitation, mais pas obligatoirement l'entreprise elle-même. Elle est enregistrée auprès du registre du commerce et des sociétés de la Direction des Affaires Économiques, ce qui confère à l'exploitant une protection, qui nait du premier usage public.

BREF HISTORIQUE

C'est au Moyen-âge que l'enseigne a commencé à se populariser. Autrefois, pour attirer les clients (on disait alors les chalands) les marchands mettaient devant leurs commerces (on parlait alors d'échoppes, terme repris par les anglais en shop) des symboles propres à l'activité. Ceux-ci pouvaient être des ciseaux pour un coiffeur, une botte pour les cordonniers, un bouquet de feuillage appelé le bouchon pour les débits de boisson, un poulet suspendu pour un restaurant, une carotte pour un bureau de tabac etc. De nos jours, on peut encore voir, plusieurs siècles après, la carotte devant certains buralistes, carotte qui avait d'ailleurs été officialisée en France en 1906 pour ce type d'activité, ce qui peut expliquer de nos jours sa fréquence.

Les enseignes étaient soutenues par des potences en fer et prenaient beaucoup de place, ce qui était d'ailleurs le but recherché. Plus l'enseigne était importante, plus elle avait des chances d'être vue de loin et de devenir même un point de repère pour les passants.

On mettait aussi fréquemment des animaux en scène, souvent vivants et en cage : des petits cochons, des écureuils, des lapins, des oiseaux, des singes. Ces animaux n'avaient pas forcément de lien avec l'activité réellement exercée. Ils étaient là pour attirer avant tout les chalands. Les commerçants leur faisaient souvent faire des jeux d'adresse. Ainsi la truie qui file, le singe vert, l'oiseau moqueur étaient des animaux en cage qui émerveillaient les passants par les tours que leur apprenaient leurs maitres. Cela permettait ainsi aux marchands de concurrencer les nombreux commerces ambulants, ces montreurs d'ours par exemple, qui avaient leur petit succès et qui entraînaient derrière eux une myriade de personnes au détriment des boutiques ayant pignon sur rue.

À compter du XVe siècle, les enseignes connurent une grande extension et, progressivement, on vit apparaître de plus en plus de textes écrits en plus des symboles. Mais elles prenaient aussi davantage de place, si bien qu'en 1669, une ordonnance royale réduisit leur dimension "à treize pieds et demi depuis le pavé de la rue jusqu'à la partie inférieure du tableau qui n'aurait que dix-huit pouces de largeur, sur deux pieds de hauteur."

Au milieu du dix-huitième siècle, l'enchevêtrement, la multiplicité, la lourdeur des enseignes avaient fait renaitre tous les abus antérieurs menaçant même la sécurité publique car elles provoquaient des accidents, notamment par grand vent. En novembre 1763, une ordonnance de police supprima à Paris les potences qui soutenaient les enseignes et enjoignit de les faire appliquer en forme de tableaux contre les murs des boutiques ou des maisons. La publicité commerciale avait dorénavant des formes précises. D'où la nécessité pour le marchand, n'ayant plus l'enseigne suspendue d'autrefois qui était visible au loin, de trouver une nouvelle forme d'enseigne, d'avoir recours à un nouveau moyen de communication et de réclame en apposant des tableaux fantaisistes, avec des compositions pittoresques qui répondaient bien au goût de l'époque.

Les enseignes firent alors la merveille des peintres qui les érigèrent parfois en véritables œuvres d'art, de magnifiques tableaux de mur, parfois si détaillés que cela fait penser à nos affiches publicitaires d'aujourd'hui mais avec plus de recherche et de décoration. Les enseignes pouvaient être aussi sculptées avec des motifs proéminents afin qu'elles puissent être visibles de loin.

Pendant la révolution française, les enseignes furent très réglementées puisqu'une ordonnance de l'an VIII enjoindra aux boutiquiers de "corriger, dans les enseignes, tout ce qui peut s'y rencontrer de contraire aux lois, aux mœurs et à la langue française." D'ailleurs, c'est la première fois que l'on, trouve une mention propre à la langue.

Les noms des enseignes faisaient rarement référence à l'activité réalisée. Elles étaient tantôt affublées de noms en souvenir de grands hommes ou en relation avec des actions guerrières. La royauté bien sûr comme la religion étaient très présentes tout comme des noms en rapport avec le règne animal aussi bien que végétal. Des rues dans les grandes villes se spécialisèrent dans des activités identiques, des marchands de lin aux fromagers sans oublier les chapeliers ou les tanneurs. La réussite du choix d'une enseigne était de servir de repère géographique au détriment du nom de la rue où le commerce se situait car très souvent la rue était mal indiquée voire pas du tout et la numérotation encore moins. La normalisation ne fut réalisée qu'au milieu du XVIIIe siècle. En 1762, une ordonnance du lieutenant de police de Paris fut à l'origine de la pose obligatoire des premières plaques de rue. Les adresses étaient d'ailleurs souvent rédigées en relation avec une enseigne. Bien que n'étant pas conçues dans ce but, les enseignes avaient aussi un côté utile essentiellement pratique.

Le 28 septembre 1846, le Préfet de police de Paris incitait les commissaires de quartier à faire rectifier, par voie de persuasion, les annonces indicatrices qui contenaient des fautes d'orthographe. Quatre ans plus tard, un décret réglementa d'une manière rigoureuse les enseignes, notamment leur profondeur.

Honoré de Balzac a écrit dans Les scènes de la Vie privée : "Ces enseignes, dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux à l'aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amener les chalands dans leur maison.

Depuis, les enseignes commerciales n'ont pas cessé d'orner boutiques, commerces et activités de toutes sortes. Dans notre monde actuel, où la publicité est omniprésente sous les formes les plus diverses, il convient de noter que l'enseigne est justement la première information de toute activité professionnelle. C'est la carte de visite du commerçant et de l'artisan. L'attractivité commerciale ne devrait-elle pas, comme c'est trop souvent le cas, non pas se conjuguer avec de l'agressivité dans les mots et les images, mais au contraire avec de l'esprit, de l'humour et pourquoi pas avec de la poésie. Le XXIe siècle a besoin de davantage de sérénité. Pourquoi ne la ressentirait-on pas davantage dans les enseignes ?

Le panurgisme est, par ailleurs, l'un des maux de notre époque. On imite les autres, on copie ce qu'on imagine à la mode dans d'autres pays ou autour de soi. On donne des noms souvent dans un mauvais anglais car on pense que cela fait bien, que cela fait moderne. En fait, la déculturation commerciale est réelle. Il y a souvent un déphasage entre vendeurs et acheteurs. C'est d'autant plus paradoxal qu'il y a un désir d'authenticité culturelle grandissant chez la majorité des consommateurs comme étant la conséquence d'une mondialisation peut-être mal maîtrisée.

Nous devons avoir à l'esprit que les enseignes sont non seulement le décor de nos rues mais aussi les premiers appels à destination des acheteurs, c'est-à-dire des consommateurs que nous sommes tous.

L'ENSEIGNE EN NOUVELLE-CALÉDONIE

En Nouvelle-Calédonie comme partout ailleurs dans le monde, les enseignes habillent notre paysage urbain pour le meilleur ou pour le pire.

Du raffinement à la française à l'enseigne typiquement locale, en passant par l'humour et les jeux de mots, sans compter malheureusement, il faut bien en parler, celles qui sont maladroitement rédigées, trop peu attirantes voire difficilement compréhensibles, les dénominations les plus diversifiées font florès ici comme ailleurs. Lors des sélections finales, le jury du Florilège des enseignes calédoniennes privilégie le lien du nom avec l'activité réalisée, ce qui est un symbole fort mais qui n'est toutefois pas exclusif. L'originalité d'un nom peut être aussi un facteur déterminant car l'un des buts principaux, trop souvent oubliés d'ailleurs, de l'enseigne c'est que l'on puisse facilement la mémoriser ! À ce titre, un nom court, s'il parait évident, n'est pas forcément la panacée. On s'imagine à tort que la brièveté du libellé d'une enseigne est un atout majeur à une époque où tout n'est qu'abréviations, sigles, acronymes et autres apocopes. Un nom composé de plusieurs mots, s'il a une signification originale, sera retenu sans difficulté par le passant ou l'internaute. Il attirera même d'autant plusl'attention qu'en Nouvelle-Calédonie les noms de rue ne sont pas fréquemment retenus. Les localisations se font souvent en référence à des bâtiments publics, religieux et surtout commerciaux.

Souvent, c'est la simplicité qui l'emporte lorsqu'on donne un prénom à son magasin. C'est fréquemment le cas des commerces d'alimentation et des gites touristiques. C'est en fait par affectivité que l'exploitant va désigner son activité par un prénom et aussi pour créer une certaine familiarité avec le client. La présence du nom d'une rue, d'un quartier voire d'une commune dans le libellé indique l'importance que veut accorder le commerçant à la localisation géographique de son activité. Il arrive aussi que l'exploitant insère son propre nom dans l'enseigne, précédé ou suivi de l'activité exercée. C'est souvent le cas des artisans.

Un constat toutefois, c'est celui de la rareté des enseignes en langues océaniennes, que ce soit sur la Grande Terre ou aux iles. Les nombreuses cultures qui sont la spécificité de la Nouvelle-Calédonie ne devraient-elles pas être plus visibles, tout comme la culture première ? Cette valorisation du patrimoine culturel du pays ne se retrouve pas non plus d'une manière conséquente, même en français, dans la physionomie commerciale. Pourtant la culture locale est suffisamment riche pour pouvoir y puiser matière à des dénominations de bon aloi. Un mot qui semble faire consensus est celui de "case" que l'on retrouve sur le fronton d'activités commerciales, le nom "cagou" est aussi présent mais quid de la flore, de la faune, de l'histoire du pays et de ses habitants... ? Les enseignes reflétant la richesse culturelle du pays pourraient être plus nombreuses.

À la place de cette culture plurielle, c'est surtout l'influence anglo-saxonne qui est visible, mondialisation oblige diront certains. Sur le plan simplement touristique c'est toutefois une maladresse pour ne pas dire une erreur. Car les visiteurs étrangers recherchent avant tout en venant en Nouvelle-Calédonie une authenticité culturelle et non pas une copie de la Gold Coast australienne. Sur le plan de l'information auprès des passants, cela n'apporte rien sinon une fausse idée de modernité avec beaucoup d'incompréhension linguistique. Le mal de notre époque c'est l'utilisation d'un vocabulaire passepartout sans idée novatrice. Pourquoi les exploitants n'innoveraient-ils pas dans ce domaine ? Ne serait-il pas opportun de faire de la création terminologique ? Il faut s'adapter aux clients et non pas l'inverse. C'est le propre de tout bon commerçant et de tout bon artisan.

Lors du montage de son dossier d'emprunt bancaire, il apparaît souvent qu'un créateur d'entreprise aura bien étudié son projet sous toutes les coutures sauf l'enseigne avec laquelle il exercera. Il hésitera à aller voir, pour ne pas alourdir ses coûts, un spécialiste en mercatique, ou une agence en communication et dénommera son activité sans mesurer l'impact de l'appellation comme si c'était secondaire, alors que l'enseigne est un élément majeur de toute activité.

Cette réflexion sur les enseignes commerciales et artisanales pourrait être étendue à d'autres domaines de la vie économique comme celui de la dénomination des marques et aussi des résidences et ensembles immobiliers dont les appellations ne font pas toujours rêver.

Nous vivons à une époque où la communication est essentielle. C'est le propre de tout professionnel de transmettre l'attrait de ce qu'il vend à ses semblables en communicant. Les réseaux sociaux, tels que Facebook, Twitter, Instagram, sont autant de possibilités pour se faire connaître mais ce sera surtout à travers l'enseigne qui restera toujours incontournable. Bien souvent, les sondages le montrent, les passants, clients et internautes subissent les noms donnés aux activités commerciales, alors qu'au contraire ils devraient être en harmonie avec ces dernières. Les appellations sont en fait souvent déconnectées de la réalité. L'exploitant se fait plaisir en donnant un nom qui lui plait à lui mais pas forcément à ses futurs clients.

Il faut penser que les enseignes d'une ville permettent aussi de saisir l'âme d'une cité. Comme l'a si bien écrit Victor Hugo dans un chapitre de son admirable livre "Le Rhin" intitulé "Ce qu'enseignent les enseignes" : "Où il n'y a pas d'églises, je regarde les enseignes ; pour qui sait visiter une ville, les enseignes ont un grand sens."

Dès lors, quel sens pourrait donner le visiteur étranger à nos enseignes en parcourant nos communes, qu'elles soient de la Grande terre ou des Iles ? Sont-elles représentatives de la grande richesse que représentent nos cultures ?

P.S. : L'orthographe du français a subi quelques retouches. La présente brochure est rédigée conformément à l'orthographe moderne en vigueur. Pour tout savoir sur l'orthographe recommandée : https://www.orthographe-recommandee.info


LES LAURÉATS DE 2013 ET 2014

(Source : "Florilège des enseignes calédoniennes - brochure de l'Alliance Champlain - décembre 2016)


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