Du marketing à la mercatique,
des affaires en bon français


Les championnats de France d'orthographe ont lieu aujourd'hui. À cette occasion, nous avons rendu visite à l'Association pour promouvoir le français des affaires. À Saint-Cyr-en-Val (Loiret), elle mène une action primordiale qui concerne l'ensemble des pays francophones.

REPORTAGE

"Un sacré boss, notre directeur-marketing, qui avoue un faible pour le discount et le leasing. Quand il réunit son brain-trust pour un briefing sur un brand-switching, tout le monde écoute le leader sans penser à faire un break au fast-food du coin."

Quoi ? Pardon ? Qu'est-ce qu'il raconte le bonhomme ? Le langage des affaires sombre dans un jargon anglo-américain et tout le monde s'y perd. Partant de cette constatation, M. Lauginie, ancien professeur de gestion et aujour­d'hui inspecteur d'académie, a fondé en 1984 l'association pour promouvoir le français des affaires.

Le remue-méninges

"Dans le commerce, plus on se comprend, plus on est efficace, explique cet homme enthousiaste et passionné pour la cause qu'il défend. Une langue claire, un vocabulaire précis permettent de mieux communiquer et facilitent l'enseignement."

C'est dans les années 1960 que les spécialistes ont ramené d'Amérique, pays où la mercatique (l'ancien marketing) a vu le jour, ces termes barbares et abscons. Dans ce verbiage, ce salmigondis ésotérique, même les professionnels se noient. "II devenait urgent de redonner à ces mots une définition précise et de leur trouver des équivalents en français", dit Jean-Marcel Lauginie.

L'APFA travaille sous le patronage du ministère de l'Économie et des Finances, de l'Éducation nationale et de la Délégation générale à la langue française. Elle participe à des commissions de terminologie qui se réunissent tout au long de l'année. Au sein de ces organismes, les membres, dont des professeurs au Collège de France, se livrent aux joies du remue-méninges. Comment traduire le mot "raider" désignant les méchants qui lancent des raids boursiers sur les entreprises ? Attaqueur, peut-être... ? Non, Messieurs, s'exclame la vigilante Académie française. Ce terme n'est point conforme au génie de la langue. Nous préférons attaquant. Bien, bien...

700 mots traduits

Chaque année, l'association pu­blie une brochure tirée à 6.000 exemplaires et rassemblant sept cents mots du vocabulaire des affaires. "De nos jours, souligne M. Lauginie, les entreprises veulent connaître ces nouveaux ter­mes économiques. IBM, Beaufour-IPSEN participent à nos travaux. Des journaux comme "l'Expansion", que nous avons récemment récompensé, encouragent notre action. À l'évidence, il y a un progrès, même s'il demeure fragile."

Les pays francophones du monde entier accueillent aussi ces initiatives avec enthousiasme. Ils éprouvent pour notre langue un attachement, un amour que peu de Français de métropole partagent.

Forte de ses adhérents et de ses six cents sympathisants originaires de tous les continents, et qui souhaiteraient posséder, eux aussi, leur propre vocabulaire économique, l'APFA, qui organise la Coupe du français des affaires, espère contribuer à l'évolution des mentalités et à la disparition d'une forme de snobisme élitiste. "II ne s'agit pas pour nous d'attaquer la langue anglaise, affime M. Lauginie. Ce n'est pas un combat contre elle que nous menons, mais un combat pour l'emploi du français."

D'ailleurs, même les Américains considèrent que nous avons de leur vocabulaire économique une connaissance approximative, et que nous l'utilisons d'une manière maladroite.

Pauvres executive-managers d'une compagnie en holding, golden-boys mesmérisés par les délices du venture-capital et de l'open-market, stressés par le fixing de l'or à Wall Street et qui se nourrissent des data-banks de leurs computeurs, il est temps pour eux de retourner à l'école. Ils y retrouveront leurs épouses qui adorent le high-tech et ne manquent pas, en faisant leur shopping pendant le week-end, de remplir leurs caddies de compact-discs.

Thierry GUÉRIN.

Coupes et trophées


Créée en 1988 dans l'académie d'Orléans-Tours, la Coupe du français des affaires s'adresse aux élèves et étudiants en économie et gestion. "Six académies et deux pays francophones ont participé à l'édition 1989, dit M. Lauginie, Nous avons récompensé 1.345 lauréats, parmi les onze mille candidats qui ont planché sur quatre épreuves différentes."

II existe aussi une coupe pour les entreprises, les journalistes, les éditeurs et les administrations. Raoul Eber, journaliste à "La République du Centre", a ainsi reçu un beau trophée, une pyramide en bois de sental, pour un article sur le sujet.

Notons que l'APFA organise une fois par an la Journée du français des affaires où des spécialistes traitent de problèmes économiques de fond dans une langue claire, accessible a tous, efficace.

(La République du Centre des 2 et 3 décembre 1989)

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